Martel et Bussy. Autour de deux portraits de Raoul Martin enfant.
Lors de l'encore récente publication d'Eugène Martel et Simon Bussy au Contadour, Élisabeth Juan-Mazel, arrière-petite-nièce de Martel, écrivait en fin d'article, dans la rubrique des commentaires : « Eh voilà Bussy adopté en Haute-Provence ! Je vais en faire part à Philippe Loisel, descendant de Bussy et spécialiste de son œuvre. Nous prolongeons l'amitié Bussy-Martel en échangeant depuis les années 90 sur l'actualité des deux peintres...
En 1897, les deux amis exposèrent ensemble chez Durand-Ruel, à Paris, Martel des dessins et Bussy des pastels. Je relève, dans l'émouvant petit catalogue de l'exposition, une vingtaine de paysages de Haute-Provence réalisés par Bussy, dont l'un du Contadour.
Je vous conseille aussi d'aller voir, sur la toile, une récente acquisition du musée de Beauvais, pour laquelle nous avons œuvré, Philippe Loisel et moi-même : Portrait de Raoul Martin (neveu de Martel) enfant, sous un grand chapeau de paille. Il est superbe ce petit bas-alpin et pas tout à fait perdu...Il est encore localisable ! »
Portrait de Raoul Martin enfant. 26,7x21 cm. 1895. Musée de Beauvais.
Photo (C) RMN-Grand Palais / Adrien Didierjean. DR.
Très belle pièce ainsi sauvegardée et, comme le souligne Élisabeth - en effet, très important - localisable !
Sobriété et statique du vêtement, extravagance du chapeau solaire peint, lui, comme en mouvement rapide, délicate qualité du blanc de col chemise sous le beau visage à la peau encore toute neuve et au regard, par contre, déjà attentivement intelligent !
Bussy révèle là, à mes yeux, une bien profonde sensibilité psychologique face à son jeune modèle près-adolescent ; usant pour la mettre en œuvre, juste ce qu'il faut d'une grande discrétion de palette dans le raffinement de ses rapports de couleurs. Je ne sais rien de l'adulte qu'est par la suite devenu cet enfant ici couronné d'or comme aussi bien, sur une icône ou un Giotto, en serait auréolé un tout jeune saint ; mais, à en croire seulement le langage médiumnique du peintre, cet être possède déjà une bien prometteuse carrure intérieure, de fortes dispositions spirituelles.
62x32 cm
Le portrait du même Raoul dessiné en pied quatre ans plus jeune, cette fois par son oncle Eugène, montre un garçon bien de son époque et d'un certain rang social au cas où le costume qu'il porte ne serait pas celui spécifiquement « du dimanche », alors jour de repos et de fête traditionnel en 1891.
Une belle tête de jeune adulte y repose sur un corps d'enfant sans doute encore un peu malingre pour son âge - voir la taille de la main, par exemple. C'est cette dichotomie entre la tête et le corps qui, retenant son attention, a donc inspiré et conduit le portraitiste jusqu'au bout de son travail. Martel qui - toujours fin morphopsychologue en regard de chacun de ses modèles - s'attache donc, du coup, dans le droit fil de ses observations directes et, tout autant, de ses fines sensations intuitives, à n'en aboutir vraiment que le visage, le peaufinant, même, jusqu'à la limite du possible. Réduisant par ailleurs très volontairement ses moyens, il se contente, par contre, de rendre tout le reste du personnage avec beaucoup moins de soin et d'application dans son art, le crayonnant même un peu comme à la diable, nous signifiant par là que l'importance des aisements vestimentaires de cet enfant est déjà d'ores et déjà caduque en son état présent de chrysalide, les dessinant pour cela ainsi afin de mieux attirer et diriger le regard vers l'altier visage témoignant d'une maturité plus avancée que celle ordinaire à l'âge du modèle. Visage duquel il se trouve qu'émane en ce sens, n'est-il pas, quelques airs de famille avec ceux de jeunes moines, futurs lamas tibétains.
Finalement, sur un même sujet très sensible peint par l'un, puis par l'autre, à quatre années de distance, Bussy et Martel, sur l'essentiel de cette encore toute jeune personnalité, concordent et se rejoignent !
PS : je soupçonne fort le noir et blanc de me faire venir à l'esprit l'idée - à tort ou à raison - que Martel s'est peut-être ici - en-dehors de quelques indispensables séances de pose - aidé et soutenu dans son travail par l'une de ces impeccables photos-souvenir alors mises en scène et prises dans le studio le plus proche. L'artiste choisissant alors de supprimer carrément le cerceau probablement tenu à la main par l'enfant ou le jeu de toupie abandonné au sol, évaporant aussi, dans du flou, les imposantes tentures alors fort à la mode en fond de décor de toute photographie de groupe ou individuelle réalisée en sa boutique - à la fois atelier-labo et petite scène de théâtre ! - par un professionnel de l'époque.
L'enfant s'en trouvant donc représenté au dessin selon la fameuse formule « tout seul comme un grand », cela venant de la seule et stricte décision - bien sûr en rien innocente - de Martel, avec absolument rien de rien autour de lui de postiche ou même de décoratif pour ainsi mieux laisser libre cours dans l'esprit au latent mystère d'un jeune individu en pleine métamorphose.
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De quoi lire :
Eugène Martel peint par son ami Simon Bussy.
Eugène Martel et Simon Bussy au Contadour.
Texte de Serge sur Eugène Martel.
Un autre témoignage de Serge concernant Eugène Martel.
Une lettre d'Eugène Martel.
Eugène Martel.
Présentation de Serge Fiorio et de sa peinture par Eugène Martel.1942.
Images d'Eugène Martel par son ami Maxime Girieud.
Giono au secours de Martel.
Eugène Martel (1869-1947). Redécouverte d'un peintre moderne.
(Bien que décédé en 1947, je ne vois pas Martel comme un peintre moderne. S'il est un classique, c'est bien lui.)
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Giono et les peintres, site de Michèle Ducheny.
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Simon Bussy, 1870-1954 | Somogy éditions d'Art
Simon Bussy - Person - National Portrait Gallery
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Un superbe livre très documenté (que je vous recommande vivement) aux éditions C'est-à-dire de Forcalquier. Il s'agit du dernier paru de l'admirable trilogie consacrée par Gérard Lebouchet au village de Gordes.
La haute figure de Pierre Martel.
Pierre Martel, une facette seulement.