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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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12 octobre 2020

Les lieux de Martel par Michèle Écochard.

Les lieux de Martel

   Eugène Martel, à l’opposé de ses amis peintres, ne fut pas un grand voyageur. Pour renouveler leur inspiration, découvrir d’autres écoles et surtout aiguiser leur technique dans des cadres différents, ils étaient tenus de se transporter au-delà des lieux de leur pratique habituelle. C’est Matisse qui, au retour de Belle-Ile-en-Mer et de sa rencontre avec John Peter Russel, débute sa mutation vers le fauvisme. C’est Bussy qui s'évade de l’atelier Moreau, part à pied sur les routes du Jura, de la Suisse et de l’Allemagne, et en revient avec une moisson de pastels qui feront le succès d’une exposition chez Durand-Ruel.

Eugène Martel n’était pas de ceux-là. Sa peinture n’en avait pas besoin. Il ne peint l’extérieur que rarement. Pas de paysage, à part La porte du mistral et quelques dessins. Sa technique toute en réflexion et en lenteur lui interdisait de suivre les variations de l’atmosphère. Il disait : « Si j’étais paysagiste, je ne peindrais ici que des ciels ». Peintre des intérieurs, à la recherche de l’inexprimable chez les êtres qu’il côtoyait, les voyages qu’il se permettait étaient les chemins tortueux qu’il tentait d’emprunter pour comprendre la singularité de ses modèles, représentés dans leurs décors quotidiens. En réplique, peut-être, à sa personnalité tourmentée qu’il ne réussira jamais à dompter.

Pour ces raisons, et aussi parce qu’il ne se sentait vraiment bien que chez lui, les lieux de Martel sont peu nombreux. Si Bussy parvint à l’entraîner à Nice durant l’hiver 1900, puis au printemps suivant, à la Villa Médicis à Rome, il ne se déplaça guère au-delà de sa Provence natale.

Évoquons ceux qu’il a rejetés, qu’il a fuis, et dont il s’est finalement évadé.

Avignon et Paris, terres d’exil.

En 1891, les dessins d’Eugène, âgé alors de 22 ans, avaient suscité l’admiration de son entourage et surtout du Dr De Courtois, le médecin du Revest-du-Bion, dont Eugène fréquentait le fils. Grâce à son intervention, il fut admis chez Grivolas, à l’École des Beaux-Arts d’Avignon. En avril, Eugène débarquait à l’École qui venait d’être aménagée dans l’aile ouest de l’ancien établissement de bienfaisance, la Caserne des Passagers. La pédagogie de Grivolas était fort éloignée des méthodes traditionnelles. Il emmenait ses élèves dans la nature, le long des rives du Rhône ou sur les marchés d’Avignon. Eugène y exécuta deux dessins (Le père Ripert, Grand-mère Ninie Martin) qui marquent le début de sa carrière, dont l’un, selon lui : « dans son propre atelier pour lui montrer ce que je pouvais faire en quittant la charrue ». Mais Eugène est réfractaire à la vie d’atelier.

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Il ne supporta pas les élèves et leur chahut, trouvant qu’ils bâclaient leurs dessins « sans application réelle et sans l’ombre d’un recueillement ni d’aucune ferveur. J’eus la vague impression d’une usine à dessin, sentiment mal défini, mais me portant à constater une incompatibilité irréductible avec ma nature et mon instinct ».[1] Deux mois plus tard, il était de retour au Revest, mais Grivolas le jugea assez avancé pour intégrer l’atelier Moreau.

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Arrivé à Paris en novembre 1891, il ne rejoindra les cours de Moreau, à l’École Nationale des Beaux-Arts, qu’en juin 1892, grâce à la recommandation de Grivolas et se passait du concours d’entrée. Le prestige de l’établissement, la beauté de l’édifice étaient de nature à impressionner les élèves. Moins que l’illustre professeur, dont la pédagogie, nouvelle pour l’époque, se démarquait du classicisme de l’enseignement artistique. Son enseignement a contribué à créer une lignée de peintres qui ont tous développé des talents particuliers et reconnus. À  son contact et à ceux de ses camarades d’atelier, Eugène y a forgé sa personnalité d’artiste. Mais cette éclosion se fit dans la douleur. Il évoqua ainsi cette époque difficile : « Mes premières années s’écoulèrent dans une effroyable incertitude et un manque presque total d’élasticité. Je n’étais pas assez bonhomme et ne me laissais aller au jour le jour de tout apprenti, qui s’immisce presque à son insu et sans cesser d’être insouciant comme le veut son âge, aux tours de main et aux secrets du métier… Moi j’étais outré de ma maladresse et de ne pouvoir faire au pinceau ce que je comprenais si bien au crayon : travailler au crayon, c’était de la compréhension ; peindre, c’était de l’habileté. Personne ne saura jamais ce que j’ai souffert de cet antagonisme, terme exagéré, mais répondant bien au sens que je lui donnais ». Moreau ne fréquentait le cours que le mercredi et le samedi et accompagnait ses étudiants au Louvre, après la séance de correction du matin. Les autres jours, l’atelier comme tous ceux de l’École, n’était pas surveillé. Les étudiants étaient responsables de l’ordre, de la discipline, du matériel et Eugène n’était pas à son aise dans cette ambiance de potaches. La rencontre avec Simon Bussy lui permit sans doute de dépasser cette phase laborieuse des débuts de son apprentissage.

Les deux compères logeaient ensemble au 24 de la rue Visconti, à deux pas de la rue Bonaparte et du portail qui s’ouvrait sur la cour d’honneur de l’établissement. La rue étroite, obscure, et ses habitations étaient en très mauvais état. Avec l’industrialisation, de nombreux propriétaires avaient vendu ou loué à des artisans qui avaient dégradé les vieux immeubles de résidence en construisant de nombreux ateliers dans les cours et en délaissant l'entretien des bâtiments. [1]
Des étais de soutènement barraient la rue pour empêcher les bâtiments de s’effondrer.

Rue 1
Vue en 1970 depuis la rue Bonaparte

Certaines poutres au-dessus des portes cochères étaient complètement pourries, menaçant les passants. Les cabinets d’aisance du fond de certaines cours laissaient échapper l’urine qui ne s’évacuait pas à cause des pavés disjoints ou manquants. Les logements étaient pour la plupart loués à des gens à faibles revenus, comme Eugène et Bussy. En 1895, ils quittèrent ces lieux insalubres pour l’Ile Saint-Louis, emménageant au 41 quai Bourbon, non loin de chez Matisse qui habitait au 19 quai Saint-Michel dans les mêmes conditions : les maigres ressources dont ils disposaient tous, la peinture ne leur apportant aucun revenu, les contraignaient à vivre entassés dans des montées d’immeubles qui ressemblaient à des villages en hauteur, avec des artistes à tous les étages. Eugène s’en échappait aux vacances pour passer l’été dans sa Provence natale et mit un terme définitif à sa vie parisienne en février 1898 : « Ma vie de Paris était terminée. J’en avais apporté (sic) les plus saines résolutions et la volonté de me consacrer à peindre les gens de mon village… »[3].

La terre des Martel.

La commune du Revest-du-Bion, partagée entre les maisons en hauteur du village centre et les « maison à terre », dites campagnes au 19ème siècle, est très étendue.

Les traces de l’existence d’Eugène dans le village où il s’installa définitivement de 1898 à 1944 où il rejoignit la demeure de ses neveux de Bollène (une rue porte son nom) sont nombreuses[4] : sa maison où Giono passa une nuit, la pension Bonniol devenue le Restaurant des Marronniers, la statue de la Vierge visible aujourd’hui devant l’église à l’origine d’affrontements violents entre élus …

image (2)

Au-delà, on peut retrouver les sites d’implantation de l’immense famille dont Eugène est issu.

Jean-Baptiste Martel dit le Bayaud, du nom de la ferme que la famille occupait au centre du domaine des Bastians, y naquit en 1781. Pour tirer le maximum des ressources de la terre trop souvent ingrate, durcie par le gel une bonne partie de l’année, il fallait étendre l’emprise cultivable et pastorale. On avait besoin de bras. L’emploi de domestiques comme des membres de la famille, moins coûteux que l’acquisition d’animaux de trait, palliait un temps au problème. Les familles nombreuses étaient une chance. Les autres, moins prolifiques, recueillaient des enfants abandonnés ou en prenaient en nourrice. Patriarche d’une des branches les plus fécondes des Martel, Jean-Baptiste se devait de mener à bien la destinée des treize enfants que Marie-Rose Clément lui donna entre 1813 et 1840 dont un seul Xavier Jean-Baptiste décéda en bas-âge en 1828.

Un peu plus jeunes que les parents Martel, les époux Jourdan, à la tête d’une lignée de neuf belles filles, demeuraient au Plan de Liman non loin de la ferme du Bayaud. Ils étaient proches des Martel aussi par le sang : les deux chefs de famille Jean-Baptiste Martel et Joseph Jourdan qui étaient déjà cousins au départ, leurs pères ayant épousé deux sœurs Bourgeois, avaient uni leurs vies à deux sœurs Clément, Marie- Rose et Marie-Magdeleine. De sorte que tous leurs enfants étaient cousins.

En 1839, Jean-Baptiste vendit la ferme du Bayaud[5] aux Conil et en laissa l’exploitation aux deux ainés, Philogène et Jean-Baptiste dit Titoun. Il racheta le domaine du Château du Bois à Lagarde-d’Apt et s’y installa avec Rose et les huit enfants restants : Entrope 23 ans, Marguerite 19 ans, Félicien 17 ans, Isidore 15 ans, Pierre 13 ans, François 7 ans (père d’Eugène), Marie-Rose 9 ans, Marie-Magdeleine 5 ans. Un an plus tard, Rose donna le jour au dernier garçon de la lignée, Benoit-Fortuné.

Le 12 juin 1844, Jean-Baptiste Martel et Joseph Jourdan célébraient l’union de deux de leurs enfants, déjà cousins germains, Entrope Martel et Marie-Julie Jourdan qui prirent un fermage au Plan des Barruols. François Martel, né 16 ans après son frère Entrope, et Rosine de 9 ans la cadette de Marie Julie furent, à leur adolescence, expédiés chez le jeune couple pour leur servir de domestiques[6].

 
Implantation des familles Martel Jourdan au cours du 19ème siècle (Revest-du-Bion, carte du cadastre napoléonien)

François et Rosine parvinrent à sortir de cette tutelle en se mariant le 23 avril 1856. Ils entraient au service des Hicard à Pierrerousse, puis parvinrent à acheter la propriété vers 1870, après en avoir assuré le fermage. La ferme, construite vers 1750, était une « maison à terre », bâtie sur la longueur. Un chêne séculaire à quelques mètres de la porte d’entrée en défendait l’accès.

À l’arrière de la maison dans un décrochement sud, une imposante grange abritait au rez-de-chaussée la bergerie et l’écurie. Du côté ouest, la terre cultivée et les pâturages ceinturaient le territoire. À l’est commençait l’immense forêt trouée de quelques clairières.

Eugène naquit à Pierrerousse le 13 décembre 1869, le dernier d’une famille de 3 enfants après le décès d’un enfant mort-né en 1866, et la mort prématurée en 1874, à 18 jours, d’Ernest Adolphe.

Il revendiquera toujours son âme de paysan : « Né de parents paysans, issus eux-mêmes de générations originaires d’un pays dont elles ne s’étaient appliquées qu’à cultiver le sol, je n’avais ni dans le sang ni dans l’esprit aucune modernité assimilée, de nature à s’ajouter et à modifier l’instinct ancestral, de façon à me rendre ainsi différent de mes devanciers qui vivaient plusieurs siècles avant moi ».

La correspondance avec Serge Fiorio, à l’automne de sa vie, est riche d’évocations de ce qui l’a à jamais marqué et contribué à sa vision de la condition humaine en général et de celle de l’artiste en particulier. Ainsi en 1940 : « Tes dispositions sont si bonnes et si semblables à la bonne terre selon l’Evangile qu’on voudrait y jeter de la bonne graine pour la joie de la voir germer ».[7]

Le peintre n’oublia jamais les préoccupations des hommes de la terre. En 1942, dans une lettre à Serge Fiorio, il est question « d’un fourrage, le lotier qui vient bien paraît-il dans les terrains secs »[8] pour lequel Eugène souhaiterait avoir toute une liste de renseignements afin d’informer Madame Bonniol pour son père.

Il entretint toute sa vie des relations étroites avec ceux de son terroir, sa famille comme les figures villageoises qu’on peut reconnaître dans ses œuvres qui n’auraient jamais vu le jour sans leur patiente collaboration. Il connaissait tous les recoins de cet immense territoire, qu’il faisait découvrir avec jubilation à ses amis venus d’ailleurs. C’est Giono, qu’il entraîne au bord de l’aven de la Servi [9] et aux pieds du grand chêne de Bournas. C’est Bussy, à qui il a probablement fait découvrir Le Contadour par le chemin qui part du village vers Redortiers : Bussy donna Redortiers comme adresse sur son livret militaire en 1895.[10]

L’air sain du plateau d’Albion et sa tendresse pour les siens, ne suffisent pas à expliquer cette alliance symbiotique avec son pays et la communauté des Bas-Alpins.

Le village, terre des combats.

On ne peut dissocier la vie de l’artiste de celle du citoyen engagé dans la Libre-pensée et dans les courants anarchistes, modelée par les vagues de révoltes qui ont agité ce territoire partagé entre l’intolérance à l’injustice et les idées conservatrices. Les combats antérieurs d’une partie des Bas-Alpins contre le coup d’État napoléonien avaient laissé des traces indélébiles dans ce pays où les affrontements entre rouges et blancs ont perduré, même après l’avènement de la 3ème République.

La résistance au putsch du 3 décembre 1851, moins de 20 ans avant la naissance d’Eugène a pris dans les Basses-Alpes une ampleur inégalée par rapport à d’autres régions françaises et même à Paris.[11] Sa durée et sa vigueur ont pu être expliquées par l’éloignement qui a entraîné un retard de l’arrivée des informations sur la suite de l’évènement. Mais si le département a réagi aussi promptement et aussi violemment à l‘annonce du coup d’Etat, c’est en s’appuyant sur le réseau des Chambrées, véritables sociétés secrètes qu’avaient créé les Républicains. Une partie d’entre eux étaient proches de Louis Langomazino qui avait mené une propagande active en organisant réunions et banquets et en diffusant le journal La voix du Peuple. Le vendredi 5 décembre, un contingent d’hommes du Revest-du-Bion rejoignit Banon où un regroupement était organisé pour atteindre Forcalquier, Les Mées, Digne. Il répondait à l’ordre d’insurrection, parvenu la veille dans la quasi-totalité des communes des Basses-Alpes. Le 6 décembre, à l’apogée du mouvement, plus de 10.000 hommes occupèrent Digne. Le mouvement sera stoppé avec l’arrivée de l’armée régulière dès le 8 décembre et une partie des insurgés prirent la fuite et retournèrent dans leurs foyers. La répression sera sévère : 1662 Bas-Alpins seront jugés par les commissions mixtes.[12] Huit étaient originaires du Revest-du-Bion et s’ils ne forment qu’une faible proportion de l’ensemble des poursuivis, ils étaient sûrement plus nombreux à soutenir le mouvement et à avoir marché sur Banon et au-delà. Pourtant, l’ensemble de la population du village fidèle aux notables locaux était loin de leur être favorable. Ainsi en juin 1851, le député Fortoul, soutien de Napoléon III, déposait à l’Assemblée une pétition comportant 162 signataires du Revest demandant « la révision de la Constitution et comme conséquence la rééligibilité du Président de la République, dont la prorogation est une nécessité de salut autant qu'une dette de la reconnaissance nationale ».

Les affrontements entre Rouges et Blancs ont perduré du vivant d’Eugène Martel. En 1879, le maire, Louis, Marquis de Jocas, fut suspendu pour avoir refusé de laisser enterrer le jeune Célestin Fabien baptisé, mais mort sans avoir pu recevoir les derniers sacrements, dans la partie bénie du cimetière. Depuis la révolution, les curés n’étaient plus responsables de la gestion du cimetière. Mais au Revest-du-Bion, les anciennes règles n’avaient pas évolué. Les évêchés vérifiaient toujours, auprès des curés, que le maire respectait bien une délimitation précise de places différentes pour les enfants morts sans baptême, les suicidés, les personnes non catholiques et enfin les catholiques. Louis de Jocas soutenait cette ancienne règle, le préfet lui donna tort et 16 mois plus tard la dépouille de Célestin Fabien était transférée à la place voulue par ses parents devant tout le village assemblé.

La laïcisation était refusée par une majorité de revestois qui continuaient à élire des maires conservateurs alors que la tendance inverse s’observait sur le département. En 1889, le département élisait trois députés républicains radicaux, Joseph Reinach à Digne, François Deloncle à Castellane et Marius Isoard à Forcalquier.

Eugène enfant se sentait peu concerné par le débat politique. Sa réaction n’en fut que plus vive quand il s’engagea dans le combat. Ses parents, François et Rosine, dépassant leur condition de domestiques étaient devenus propriétaires terriens. Signe de leur ascension sociale réussie, ils étaient admis chez les notables du village et Eugène était invité à des parties de chasse avec les fils du Marquis ou à des concerts au Château. Il allait encore à la messe quand il quitta le village en 1892 pour aller faire ses études à Paris et voyageait avec plaisir avec Gabriel Barruol, le fils du maire. Mais il avait déjà des sympathies républicaines qui s’affermirent avec les discussions avec ses amis peintres qui étaient tous républicains ou anarchistes. À la fin de l’année 1892, il avait adhéré à la Libre-pensée et participait à la création d’une section au Revest. Les débuts de l’affaire Dreyfus en 1894 cristallisaient à nouveau les positions au village et Eugène était clairement du côté de ceux qui soutenaient le capitaine juif accusé de trahison. Les tensions s’exacerbèrent lorsque Joseph Reinach, élu des Basses, Alpes prenait officiellement parti pour Dreyfus contre la majorité de l’opinion française. Les journaux locaux ne lui firent pas de cadeau. Ainsi Andrieux qui se présentait contre lui pour l’élection de 1898 disait-il : « Sous les apparences trompeuses d’une étiquette républicaine, la France a vécu longtemps sous l’apparence d’une ploutocratie hébraïque… » « J’accepte que les juifs soient nos égaux ; je ne veux pas qu’ils soient nos maîtres ».[13]

Singe
Caricature de Joseph Reinach pendant l’affaire Dreyfus

Eugène réalisa à cette époque un tableau, L’affaire, qui ne fut pas exposé. Toujours pas identifié, il fait partie comme beaucoup de ses œuvres des collections particulières. Dans une France à majorité anti-dreyfusarde, les galeries ne devaient pas se presser beaucoup pour le présenter.

Au Salon du Champ de Mars, à la même époque, où Eugène proposait L’hymne russe, l’accueil fut bienveillant. Personne ne remarqua le drapeau rouge ou, diront les commentaires, la bande rouge du drapeau tricolore. Ni l’acheteur pour le compte du tsar qui, au printemps 97, séduit par le titre du tableau, le commanda. Le tsar, lui, eut vite fait de se rendre compte de la machination et le renvoya à l’ambassade, demandant que l’emblème anarchiste disparaisse. Eugène n’en fit rien et renvoya même l’argent qu’il en avait tiré.  Le drapeau rouge avait été représenté à dessein. On ne peut en effet imaginer Eugène, signant probablement l’appel des anarchistes contre la venue du tsar à Paris, lui rendre hommage par la suite avec une toile.

image (3)
L'hymne russe

La loi sur la séparation de l’église et de l’état, votée en 1905, continua d’attiser les oppositions. La commission préparatoire avait été présidée par Ferdinand Buisson, à la tête de l’association nationale des Libres-penseurs. Eugène ne pouvait qu’y être favorable. L’inventaire des biens du clergé, consécutif à la loi, eut lieu le 19 mars 1906 dans une ambiance funèbre. Selon le Bas-Alpin, « La population tout entière était présente, et n’a cessé de prier et de chanter des cantiques pendant que le percepteur accomplissait sa pénible mission. Comme dans plusieurs autres paroisses, le curé s’était immédiatement retiré après la lecture de sa protestation. »

Jusqu’en 1926, date de la démission d’Eugène de la Libre-pensée et malgré la trêve de la première guerre mondiale, il resta fidèle à ses idées républicaines, il fut pendant longtemps « de ceux qui regardent passer les processions, le chapeau bien planté sur la tête ».[14]

Trois ans avant sa mort il manifesta clairement sa volonté d’être enterré par l’Église en apparaissant à la messe du village. Ses concitoyens en furent très surpris. C’est au cimetière de Lagier sous une magnifique pierre tombale qu’Eugène Martel a terminé son voyage après son escale au cimetière de l’église en 1947. La croix en granit noir, la seule à dépasser des hauts murs de l’enceinte, permet de retrouver facilement son tombeau.



[1] Cité par Alauzen in Coulomb G Martel P (1991) Eugène Martel (1869 1947) redécouverte d’un peintre moderne Les Alpes de Lumière, p 87.

[2]http://www.ruevisconti.com/Histoire/PetiteHistoire/PetiteHistoire.htm

[3]G. Coulomb-P. Martel, op. cit p24

[4]https://jeangiono.blogspot.com/2015/04/jean-giono-en-amitie-eugene-martel-le.html

[5] Recensements Revest-du–Bion (Archives Départementales des Alpes de Haute Provence)

[6] Recensements Revest-du–Bion (Archives Départementales des Alpes de Haute Provence)

[7]Une lettre d’Eugène Martel Mars 1940- http ://sergefiorio.canalblog.com/archives/2015/02/26/31184168.html

[8] Courrier de Martel à Serge Fiorio -28 juillet 1942, communiqué par André Lombard

[9]E. Juan-Mazel, Charles Martel le photographe de Sault - Revue Giono n° 145, 2012

[10] Registres matricules du recrutement militaire in archives départementales du Doubs - Livret de Simon Bussy

[11]CHRONOLOGIE DE L’INSURRECTION BAS-ALPINE DE DÉCEMBRE 1851, https ://1851.fr/publications/chrono_ba/

[12] Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [http ://poursuivis-decembre-1851.fr/index.php

[13] HYVERT-MESSESCA- L’affaire Dreyfus dans les Basses Alpes : la défaite de Joseph Reinach aux législatives de 1898

[14]G Coulomb-P Martel, op. cit 78

Références des illustrations.

La caserne des passagers

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Avignon_Caserne_des_Passagers_Aum%C3%B4nerie.jpg

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Avignon_Caserne_des_passagers.jpg

https://www.akpool.fr/cartes-postales/28722793-carte-postale-avignon-vaucluse-caserne-des-passagers

École  nationale des beaux-arts vers 1900

http://paris1900.lartnouveau.com/paris06/ecoles_lycees/ecole_des_bx_arts/cpa/ecol_bxarts1.htm

http://paris1900.lartnouveau.com/paris06/ecoles_lycees/ecole_des_bx_arts/cpa/ecol_bxarts4.htm

Carte

http://www.archives04.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo3OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMj
AtMTAtMTAiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6MTU7czo0OiJyZWYyIjtpOjIyODQ7czo4OiJ0eXBlX2ltZyI7czo3OiJ6b29taWZ5IjtzOjE2OiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sIjtiOjE7czoyMToidmlzaW9ubmV1c2VfaHRtbF9tb2RlIjtzOjQ6InByb2QiO30=#uielem_rotate=F&u

Rue Visconti

http://www.ruevisconti.com/Histoire/PetiteHistoire/PetiteHistoire.htm

Statue de la Vierge

https://www.provenceweb.fr/f/alaupro/revestbion/revestbion.htm#photohd

Caricature Reinach

http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo213015

*

Quelques liens :

Revue Giono. Hors-série Eugène Martel, 230 pages
Martel quand tu nous tiens !
Eugène Martel au café des sœurs Athanase
Eugène Martel. Un petit clin d'œil.
Martel. Les pinceaux brisés.
Eugène Martel et le portrait de l'oncle Fortuné.

Eugène Martel. Chapitre VIII de Pour saluer Fiorio.

Texte de Marthe Savon-Peirron à propos de la peinture de Serge.
Images d'Eugène Martel par son ami Maxime Girieud. 

Présentation de Serge Fiorio et de sa peinture par Eugène Martel.1942.

 

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