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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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24 février 2017

En l'honneur de Serge Fiorio, par André Pierre Fulconis.

   En l’honneur de Serge Fiorio, du tissu de mes deux derniers bouquins, je tire ces citations de Provençaux de vie, comme lui Italiens de premières racines, qui ont semé, planté, donné fleurs et fruits en Provence.

En voici la simple mosaïque correspondant à quelque un pour cent des textes du Louis Guillaume Fulconis, 1818-1873, statuaire, une vie d’amitié (Provence, Algérie, Normandie, Paris), et du  Dictionnaire illustré du village de Provence.

Afin de ne pas (encore plus !) alourdir le texte, on trouvera les références des citations et la bibliographie dans mes livres eux mêmes.

www.fulconis.com

*

D'autres liens utiles pour d'autres articles déjà parus ici du même auteur :

Témoignage d'André Pierre Fulconis
Apport d'un témoignage sur Giono au Contadour
J'ai lu avec grand plaisir...
Les fils de Saint-Martin

Henri Pertus, peintre admirable !

*

   Il s’appelait Pierre Louis. Il avait dix sept ans. Seul, au travers des montagnes de son enfance, il marchait dans le soleil et dans le vent.

En cette année 1802, il était Français parce que les armées de la République en avaient décidé ainsi. Il retrouverait la nationalité sardo-savoyarde quand d’autres armées l’imposeraient, mais il ne le savait pas, pas plus qu’il ne pouvait s’imaginer que ses enfants, nés Italiens, seraient Français pour toujours, trente ans après sa mort. D’ailleurs il était d’abord un homme de langue d’Oc, et partout où il allait passer et demander le vivre, le couvert, du travail, il se comprendrait avec ceux qu’il rencontrerait, qui parlaient la même langue que lui.  Il s’était résolu à partir, à descendre de sa montagne, comme tous ces hommes et ces femmes du haut-pays qui allaient nourrir les basses terres de leur vitalité. /… Cependant il n’oubliera jamais les siens. Plus tard, en Avignon, il continuera avec fidélité, sous le froc anonyme des Pénitents, une de leurs traditions les plus chères. /…

Pierre Louis va rencontrer sa femme, venue, comme lui, de plus haut, dans cette « Marseille, pleine d’ardeur et de joie qui, dans le grand soleil, hiver comme été, œuvre, une fleur d’acacia à la bouche, et qui ne ferme les yeux que devant la lumière de la Mère de Dieu ». Cette attitude des Marseillais, faite d’absence de préjugés, d’égale considération envers tous les hommes et d’absence de servilité, si l’on en juge par la tradition transmise de père en fils chez les siens, n’a pas dû déplaire à Pierre Louis. Tavernier constate : « La féodalité n’a jamais implanté de profondes racines dans le sol de la ville. La servilité y est inconnue, le sentiment d’égalité, général. Si l’on estime ceux en qui paraît un mérite véritable, on ne les croit pas pour autant supérieurs. Aux gens du lieu un homme en vaut un autre ». /…

(Pierre Louis Fulconis Di Rosso, de Saint Etienne de Tinée, est le père de Louis Guillaume Fulconis né à Avignon, dit Roux, le créateur et donateur de la Coupe nommée Sainte, Coupo Santo, par notre grand Frédéric Mistral) /…

Comme il l’a dit à sa sœur qui le répétera dans ses vieux jours, c’est là qu’il voit chez ses parents l’exemple du bonheur. Mais court sera le temps de joie ; bientôt, trop tôt, le malheur s’abat sur la famille. La mère meurt. Louis Guillaume a très exactement 11 ans. Quelques mois après le père meurt, il n’aura pas supporté longtemps la séparation. Louis Guillaume a 12 ans et 8 mois. Il est seul. Ses grands-parents maternels ont disparu, et de ses grands-parents paternels, il ne reste que son grand-père qui est très vieux et très loin (en Italie d’alors). /… Il ne veut quitter ni son métier, ni ses études, ni ses amis, et manifestement il est déjà assuré de sa vocation. /… D’ailleurs il doit continuer ses études, commencées à l’école municipale des Beaux-Arts depuis au moins l’âge de 12 ans, et puis, à l’école de son père, il a déjà appris à tenir ses outils de telle sorte qu’il peut gagner sa vie. Les Mariotti (Italiens, collègues de son père) ne le laissent pas seul, ils l’hébergent, ils l’emploient. Bien sûr il faudra qu’il gagne sa vie le jour, son père n’est plus là pour lui libérer ses journées pour l’étude, qu’à cela ne tienne, il y a les soirs et les dimanches, où heureusement les cours gratuits sont dispensés. /…« Là se pressent nos jeunes ouvriers, nos maçons, nos mécaniciens, nos serruriers, avides de ces savantes théories qui doivent régler pour eux les travaux auxquels ils se livrent. Cette école produit chaque année de merveilleux résultats dont le retentissement se fait sentir dans tous les métiers utiles, et qui conserve parmi nous ces traditions, cette supériorité que les moindres ouvriers avignonnais durent jadis aux rapports intimes qui existait entre nos contrées et l’Italie ». / … Ses études dans l’école municipale auront duré trois ans, car à 15 ans il décide de partir. /… les Mariotti auraient certainement aimé garder un ouvrier prometteur, mais aussi Louis Guillaume a dû comprendre qu’il avait intérêt à gagner sa liberté et à parfaire sa formation sur d’autres chantiers, /… Peut-être même lui a-t-on fait quelque offre pour un poste où sa promotion serait plus assurée, /… Il prend donc la route, avec sa canne et son baluchon sur l’épaule, et marche vers sa destinée, comme le compagnon qu’il est déjà.

Comme son père, trente ans auparavant, c’est vers Marseille que Louis Guillaume se dirige. L’atelier qui l’accueille est celui d’un Italien, comme celui qu’il quitte. Lui-même est Italien, depuis que son père, au hasard de l’histoire, comme tous les Niçois, est redevenu Italien ; ou plus précisément, l’Italie politique n’existant pas encore, Sardo-Savoyard. Peut-être peut-on supposer une solidarité sentimentale entre ces hommes, et Louis Guillaume en bénéficie.

Il entre dans l’entreprise d’une famille qui va illustrer Marseille : celle des Cantini. Il va très vite y devenir contremaître. La dynastie des Cantini, que Jules Cantini l’homme d’affaires, l’artiste, le mécène généreux a particulièrement illustrée, commence en effet à Marseille par le père, Gaétan, modeste ouvrier marbrier d’origine italienne, pisan. Les quinze ans de Louis Guillaume étaient à bonne école avec un patron de ce type. Après deux années passées en sa compagnie, au bout desquelles il a assumé les responsabilités de contremaître malgré son jeune âge, il est vrai mûri et assuré de son métier, Louis Guillaume en 1835 s’embarque à 17 ans pour Alger./…

=Les nouveaux arrivants en Algérie, succédant aux Berbères, Romains, Vandales, Juifs, Maures, Arabes et Turcs, étaient sans doute pour la plupart ignorants de l’histoire du pays où ils espéraient vivre, comme probablement d’ailleurs de celle des pays dont ils venaient, qui avaient connu eux aussi nombre d’invasions et de mélanges où pouvaient se retrouver certaines des mêmes origines. D’autant plus que la plupart d’entre eux seront des méditerranéens, les Italiens du sud de l’Italie et de la Sicile, ou des îles comme  les Maltais et les Mahonnais des Baléares, les Espagnols, particulièrement nombreux, surtout en Oranie,  proche de leur côtes, où ils avaient pendant deux siècles été présents, enfin les Français, presque tous gens de langue d’oc, les provençaux étant majoritaires, avec de nombreux Corses. /…Les Italiens monopoliseront la pêche et se rendront indispensables pour tous les travaux du bâtiment et des voies de communication. En 1844-1845 ils possédaient 196 des 201 bateaux de pêche du corail et 148 des 306 bateaux de pêche avec lesquels, signe de leur efficacité, ils pêchaient 56% du poisson.

/…Rappelons à ce propos qu’en ce temps aucun ostracisme n’a nui, en aucune sorte, à la vie quotidienne et à la carrière des étrangers qu’étaient alors les Fulconis ; ni à Avignon, ni à Marseille, ni en Algérie, ni à Paris, ni en Normandie. Pourtant le sacristain de Notre Dame de Bonsecours (la basilique normande entièrement illustrée des œuvres de Louis Guillaume classées monuments historiques), par on ne sait quelle tradition orale vivace encore au bout d’un siècle et demi, disait en l’an 2000 : « le sculpteur  Fulconis était Italien », et il est vrai que le statuaire de Bonsecours était Italien pendant la moitié de son long temps de travail sur le chantier de la basilique, avant de retrouver en 1860 l’unité provençale et la nationalité française avec tous les citoyens du Comté de Nice, /… quand le pays de ses aïeux, comme toute la Montagne, donne unanimement ses Oui ; les liens tissés  avec la France et les Français,  plus précisément Provençaux anciens et nouveaux, ont dû y être pour beaucoup, liens économiques et sentimentaux, facilités par la langue commune langue maternelle, celle parlée par tous, et dans les sermons à l’église étaient tous prononcés dans un idiome soigné. Cette même langue d’oc qui, au cours des siècles et des vicissitudes politiques et des occupations étrangères, avaient permis aux Stéphanois de se comprendre, de se sentir eux-mêmes et de garder leur liberté. Ce sont ces considérations qui jouèrent plutôt qu’une quelconque manifestation d’hostilité envers les Italiens, particulièrement les Piémontais, avec lesquels existaient bien des liens affectifs, culturels et parfois familiaux. / …

=D’ailleurs quand il donne la Coupe, Fulconis n’est officiellement Français que depuis sept années, et cette Coupe, regardons-la, il la conçoit comme le symbole même de l’accueil fraternel de l’étranger, et de plus réfugié politique, du prochain. Il n’a pas oublié qu’il a été pauvre, qu’il a été seul, loin de son pays, et qu’il a été accueilli. Il n’oublie pas les admirables hospitalités arabe, espagnole, italienne, méridionales, qu’il a connues en Algérie. Il n’oublie pas la profonde et salvatrice hospitalité normande. Il a en tête la phrase évangélique : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » . Dans la conscience de ce que représente sa Coupe, il refuse le paiement qui lui est offert. Il s’agit bien de Fraternité suivant les propres termes de Mistral qui la nommera un jour la Coupe d’argent de la Fraternité.

=Comme toute la Provence, terre de migrations, Saint Martin de Castillon a vu continuer d’arriver, ceux qui, depuis le temps des papes d’Avignon, ont enrichi le pays de leur compétence et de leurcourage. /… On sait le rôle éminent que les Italiens jouèrent en Avignon auprès des papes, soit en tant que dignitaires, soit comme artistes ou artisans. Les descendants issus de leurs alliances ou ceux arrivés en courageux émigrés forment toujours la plus grande partie des restaurateurs et de la maintenance du patrimoine provençal. S’engageant dans nombre de spécialités (le patrimoine bâti notamment n’existerait plus sans eux) ils ont vite obtenu la qualité de Français en conservant le sens du travail et du goût de leurs ancêtres italiens. À leur égard, on n’a pas souvenir à Saint Martin de Castillon de ce racisme, parfois meurtrier, dont ils étaient alors les victimes en d’autres lieux de Provence avant la dernière guerre.

./… On aura garde d’occulter que Pierre Louis devait comme tous les Stéphanois et Niçois comprendre, parler et sans doute écrire l’italien, en plus de sa langue maternelle et usuelle, le provençal stévenenc compréhensible par tous les Provençaux. /…

 =C’est « la détermination et l’esprit de suite précis et rigoureux de Napoléon III, seul parmi les siens » et la volonté de la quasi-unanimité des votants du Comté de Nice qui firent rentrer le Comté dans la France. L’unité italienne avait été obtenue grâce à la campagne libératrice des troupes françaises en Lombardie contre les Autrichiens. La décisive aide française avait été négociée contre la cession des territoires non italophones à l’ouest des Alpes, Savoie et Comté de Nice, sous réserve de l’approbation populaire, ce qui ne faisait pas de doute. Le 15 et 16 avril 1860, une semaine avant les Savoyards, par 84,4 % des inscrits et 98,7 % des suffrages exprimés, les habitants du Comté approuvèrent leur réunion à la France. /… Les soldats niçois de l’armée sarde eux-mêmes apportèrent leur Oui à près de 90 %. / …

« Reprenant la place que la nature lui a assignée, celle de marche orientale de la Provence, le Comté retrouvait le temps de son appartenance à la communauté provençale et française. De 1246 à 1388 il avait vécu avec la Provence sous l’autorité de la maison d’Anjou. Les 5 siècles de gouvernement des ducs de Savoie, devenus rois de Sardaigne au 18e siècle, de 1388 à 1860, avaient été entrecoupés du temps notable de présence française à partir de l’automne 1792 où les Français sont à Chambéry et à Nice jusqu’au printemps 1814. En 1793 (la Convention avait décrété le 31 janvier la réunion à la France du ci-devant Comté de Nice ; mais seulement 27 communes l’avaient souhaité) le premier département des Alpes-Maritimes de Nice, Monaco et Puget-Théniers avait commencé un compagnonnage avec les autres Français, qui ne cessera qu’en 1814 par la volonté étrangère. Sous les plis du drapeau tricolore nombre de Niçois avaient combattu au coude à coude, certains avec les volontaires de la République et d’autres, beaucoup plus nombreux, avec les soldats de l’Empire. En 1858  pour l’obtention de la médaille de Sainte Hélène, instituée par le décret de Napoléon III du 12 août 1857, il fut présenté 618 dossiers de vétérans, dont 22 à Saint Étienne de Tinée, qui tenait par eux le 2e rang du Comté. Comme l’a fait remarquer André Compan, le rôle du  témoignage de ces survivants et le souvenir chez les enfants et les petits-enfants des disparus, a du peser singulièrement sur l’option des montagnards, parmi lesquels ils étaient nombreux. À travers eux le ralliement devenait en même temps retour au drapeau tricolore et à la gloire de l’Empire. Jean Fulconis, un des postulants Stéphanois, avait du longuement raconter ce qu’il appelle sa retraite de Moscou à Fontainebleau, fin de ses campagnes et de ses espoirs. /…

=François Vincent Raspail (l’ami de louis Guillaume, dont on sait la carrière de médecin et de républicain) était né le 24 janvier 1794 à Carpentras, (la ville de saint Siffrein (VIe s.), le moine italien de l’île de Lérins, nommé évêque de Venasque et de Carpentras dont il est le patron principal et dont la cathédrale lui est dédiée) et de la première synagogue de France, dans une famille à la foi catholique profonde, dévouée à la papauté, comme la plupart des Comtadins, car le Comtat-Venaissin, depuis cinq siècles terre d’Église, avait bénéficié d’« une administration pontificale représentée par un vice-légat, peu encombrante et encore moins autoritaire ». Il dit de sa mère : Jeune, aimable, belle comme peut l’être une Italienne. Elle l’a rendu père de 6 enfants, je suis l’avant dernier. Ma bonne mère était à demi royaliste ou plutôt papiste car le Comtat Venaissin sortait d’appartenir au pape et cette sainte femme était de race noble. /… (Raspail raconte que) Dans le silence du vaste hôtel laissé à l’abandon résonnait de temps en temps le violoncelle de M. de Raoulx, ou bien, quand cela lui prenait, la conversation en italien qu’il tenait à son élève.

=Letizia, Mathilde, Frédérique, Aloïssia, Élisabeth (Trieste 1820-1904) fille de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie de 1807 à 1813, 6e et dernier enfant de Laetitia Bonaparte ; marié en secondes noces à Catherine de Wurtemberg, dont il eut Mathilde, Jérôme dit le prince de Montfort et Napoléon dit le prince Napoléon.. En 1823 elle fut emmenée à Rome et mise entre les mains d’une gouvernante, la baronne de Reding, sous la surveillance de sa tante, la femme de Joseph Bonaparte, comtesse de Survilliers.

 /… Mathilde peut enfin donner libre cours à son goût pour les lettres et les arts. À 27 ans elle s’apprête à jouer ce rôle culturel et en partie politique qui durera, à travers trois régimes, un demi-siècle, en dehors du court intermède de son exil en 70-71.

Après que Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République, lui eut confié la charge de première dame, elle fut sous l’Empire, avant la lettre, un véritable ministre de la Culture, en concurrence avec l’Impératrice qui ne pouvait l’égaler en ce sens. Celle qu’on appela « notre dame des Arts » (suivant le mot de Sainte-Beuve) fit de son salon un lieu privilégié de rencontres où elle réunit les personnalités les plus brillantes. Tout ce qui comptait dans les lettres et les arts y venait échanger idées et opinions dans la plus grande liberté. Mathilde, de culture étendue et libérale, personnalité non conventionnelle, ayant son franc-parler et un ton direct, ne craignait pas la contradiction et le non-conformisme à condition qu’ils soient de qualité. Elle tolérait tous les choix politiques sous réserve qu’ils ne soient pas de mauvaise foi ou inéquitablement opposés à l’Empire. Elle fut l’hôtesse bienveillante et disponible des plus marquants des créateurs de son époque, ou de ses époques, puisque sa longue vie parisienne, de la monarchie de Juillet à la IIIe République, lui permit d’accueillir depuis des hommes qui avaient connu l’Ancien Régime jusqu’au jeune Marcel Proust. Seul Musset ne fut reçu qu’une fois, mais il s’était présenté parfaitement saoul. Elle a pu lire dans Larousse que, tout républicain et peu enclin au napoléonisme qu’il était, il la déclarait : « douée d’une intelligence vive et positive, la princesse Mathilde se distingue par beaucoup de bon sens ; quant à son caractère, il se ressent un peu de ses goûts d’artiste ; il est prompt et passionné, et, si la princesse ne connaît pas la rancune, elle n’est pas toujours exempte de vivacité. » 

Dans ce salon où se préparaient les élections à l’Académie française « elle a reçu Tout-Paris, toute la France, et une bonne partie de l’Europe. Le Second Empire et les 25 premières années de la IIIe République lui doivent des soirées, des dîners et des rencontres avec tout ce qui a compté dans l’aristocratie, la littérature, la sculpture, la musique, le journalisme et la politique ». Elle veut tout connaître, tout voir, tout comprendre. On ne peut qu’admirer l’éclectisme de l’hôtesse qui accueillit, entre autres, des gens aussi divers que  les Goncourt, About, Tourgueniev, Mérimée, Théodore de Banville, George Sand, Sandeau, Coppée, Maupassant, Bourget, Anatole France, Barrés, Loti, Henri de Régnier, Edmond Rostand, Proust, Maxime du Camp, Veuillot, Gounod, Litz et Bizet, Taine et Lavisse, Littré et  Renan, Claude Bernard, Arago et Urbain Leverrier, Becquerel, Berthelot et Pasteur, Ferdinand de Lesseps, Barre, Carpeaux et Viollet-le-Duc, Gavarni, Gustave Doré, Eugène Lami, Meissonnier, Bouguereau, Gérôme, Guillaume, Hébert, Cabanel, Vernet, Ingres, Delacroix et Nada. /… Un soir de la fin de 1852, c’est dans le salon de la Princesse Mathilde qu’ « Abdelkader rencontra l’abbé Coquereau, aumônier en chef de la flotte, qui avait été avec la Belle-Poule chercher les cendres de Napoléon Ier. Il lui tendit la main en disant : « J’ai toujours aimé les ministres de Dieu ; je suis heureux d’en rencontrer un dont l’histoire est mêlée à celle du grand Napoléon ». 

Elle accueillit naturellement nombre d’étrangers, avec une particulière prédilection pour les Italiens dont elle parlait la langue aussi parfaitement que le français. La plupart de ces artistes, savants ou hommes de lettres, sans parler des politiques, devenant en leur temps des familiers et souvent des fidèles comme Flaubert, Sainte-Beuve, les Dumas ou Gautier auquel elle donnera 6 000 f par an à partir de 1868 comme bibliothécaire, dans le but de l’assister financièrement. Il ne sera pas le seul à être aidé par elle, elle soutiendra beaucoup d’artistes. Ce ne sera d’ailleurs qu’un aspect de sa générosité ; on sait le soin qu’elle eut toute sa vie pour l’institution pour jeunes filles atteintes de maladies incurables de Neuilly qui porta son nom, l’asile Mathilde.

./…  Ses envois aux Salons (car elle peignait) lui valurent une mention honorable, en 1861 avec sa Fellah, et une autre en 1863, avec son étude d’après nature, cette même année où Fulconis obtint la sienne pour les Canéphores algériennes. Schurr écrit : « Ses intérieurs montrent un joli talent de coloriste, ses portraits, plus nombreux, sont d’un dessin très sûr, ne manquent ni de sens psychologique ni d’un certain charme évidemment romantique. Son œuvre comporte même une part orientaliste. Elle fréquentait naturellement les peintres qui avaient franchi la Méditerranée ». /…

En 1859 la princesse Mathilde fait son premier envoi au Salon, quelques mois après elle rencontre Fulconis. C’est l’époque où l’atelier-salon de l’artiste dans son hôtel particulier du 9 bis avenue de Ségur est un lieu de réunion couru. Sa réputation, que ses travaux et ses amitiés algériennes et normandes ont initiée, s’établit à Paris. Nombre d’hôtes du salon de la princesse passent aussi avenue de Ségur. Il n’est pas étonnant que Mathilde, fidèle à la mission dont elle s’est investie, et surtout toujours avide d’autrui, ait été curieuse de le connaître. Il est possible de surcroît que l’homme qui a fait, avant tout autre, et la statue du Prince Président et celle du petit Prince impérial qu’elle aime tendrement, présente d’autant plus d’intérêt à ses yeux.

/… Elle a dû aussi apprendre que Fulconis a séjourné longtemps en Algérie, et son goût de l’orientalisme l’aura incitée à l’entendre. Elle reçoit donc le sculpteur chez elle dans son nouvel hôtel au 24 rue de Courcelles pour des séances de pose. /… Ces moments de pose, et partant, d’échanges, que la princesse Mathilde distrait d’un emploi du temps chargé, sont signe d’une certaine considération et d’une évidente confiance. Le plâtre exécuté et agréé, elle a dû se rendre dans l’atelier de Fulconis pour la taille du marbre. Nul doute que leur conversation ne fut alimentée par les souvenirs algériens et que Louis Guillaume montra alors  ses carnets de croquis à la princesse. Si l’homme et l’artiste n’a pas du manquer d’admirer en le représentant  le plus beau décolleté d’Europe  comme il se disait couramment, il a dû aussi être heureux de parler de ce pays, de ces hommes et de ces femmes qu’il aimait et de répondre aux questions précises et directes que Mathilde ne manquait pas de poser.

Les musées conservent deux exemples de la veine orientaliste de la princesse Mathilde : La Fellah de 1861 à Nantes, sa Juive d’Alger de 1866 à Lille.

C’est Nieuwerkerke, qui avait lui-même fait le buste de la princesse Mathilde en 1852, qui a donné à Fulconis l’occasion de faire de même. Il est probable cependant que l’idée première est du sculpteur lui-même comme pour la plupart de ses œuvres, comme il en a été pour le Prince impérial. Carpeaux fera le buste de la princesse en 1863, trois ans après Fulconis, comme il fera le buste du Prince impérial en 1865 six ans après lui.

La femme que Fulconis rencontre pour en représenter le visage et les épaules n’est plus la jeune fille dont parle le comte Fleury « qui séduisait irrésistiblement avec son profil césarien aux lignes adoucies, sa taille svelte, son teint extraordinaire de rose de Bengale, avec ses beaux yeux bruns interrogateurs, ses épaules déjà admirables, son sourire enchanteur, avec sa franchise de parole et sa fierté d’allure toute napoléonienne que tempérait une bienveillance héritée de sa mère ». Sainte-Beuve, à la même époque que Louis Guillaume, la voit « le front haut et fier, fait pour le diadème ; les cheveux d’un blond cendré, relevés en arrière, découvrent des tempes larges et pures et se rassemblent, se renouent en masse ondoyante sur un cou plein et élégant. Les traits du visage, nettement et hardiment dessinés, ne laissent rien d’indécis. Un ou deux grains jetés comme par hasard, montrent que la nature n’a pas voulu pourtant que cette pureté classique de lignes se pût confondre avec aucune autre. L’œil bien encadré, plus fin que grand, brille de l’affection ou de la pensée du moment, il n’est pas de ceux qui sauraient la feindre  ni la voiler ; le regard est vif et perçant ; il va, par moments, au devant de vous, mais plutôt pour pénétrer de sa propre pensée que pour sonder la vôtre. La physionomie entière exprime noblesse, dignité, et, dès qu’elle s’anime la grâce unie à la force, la joie qui naît d’une nature saine, la franchise et la bonté, parfois aussi, le feu et l’ardeur. La joue, dans une juste colère est capable de flammes. Cette tête si bien assise, si dignement portée, se détache d’un buste éblouissant et magnifique, se rattache à des épaules d’un blanc mat, dignes du marbre ». Du marbre, en effet, c’est bien ce qu’a pensé Louis Guillaume Fulconis… (Il se trouve que le buste que la princesse Mathilde, encore caché en 2005 lors de ma publication, a été dernièrement préempté aux enchères par le Musée d’Orsay. L’on peut donc maintenant constater, même sur internet, combien il correspond aux descriptions ci-dessus). /…  

=Armand Augustin Joseph Marie de Ferrar, comte de Pontmartin (Avignon 1811), « Les obsèques de M. de Pontmartin, célébrées aux Angles le 1er avril 1890, ont été l’occasion d’une touchante manifestation de la part des habitants de cette commune, auxquels l’illustre écrivain prodigua, soit dans sa vie privée, soit dans les fonctions de sa vie publique, les bienfaits d’une charité d’autant plus louable qu’elle s’ignorait toujours elle-même ». Famille d’origine italienne les Ferrar étaient arrivés en France sous Henri IV. Ils acquirent aux Angles près de Villeneuve-lès-Avignon, donc en France, le domaine de Pont Martin, adjoignant naturellement le nom de terre à leur patronyme./…

=./…Raoul était fils d’un Italien naturalisé et d’une Espagnole. Que dis-je, d’une Sarrasine, oui, d’une Sarrasine bronzée aux cheveux ailes de corbeaux, tombant jusqu’à terre. Une de ces descendantes de ces conquérants vaincus par Charles Martel qui se réfugièrent dans les forêts du centre de la France et y firent souche. [Victor Fulconis qui écrit ceci à Oran où il exerça comme professeur de dessin les dernières années de sa vie y est entouré d’Espagnols, d’Italiens et de « Sarrasins »…s’il écrivait dans l’esprit d’être publié, ce que peut laisser supposer le choix du pseudonyme, nul doute que sa publicité aurait été assurée… Son interprétation des origines berrichonnes de sa mère est originalement personnelle, encore qu’il doit savoir que les troupes musulmanes étaient montées jusqu’à Auxerre ; mais tout cela  permet cependant de constater qu’il n’avait pas été élevé dans le moindre sentiment de xénophobie]. Né sur la terre d’Afrique, il fut transplanté de bonne heure en Normandie. /…

=Le sentiment de patriotisme dont fait preuve Louis Guillaume et dans lequel il a élevé son fils n’a rien à voir avec la xénophobie ; sa vie, son œuvre, et ses amis Italiens, Prussiens ou Juifs Hongrois en témoigneraient ; et puis lui-même n’a-t-il pas été, jusqu’à la quarantaine, étranger dans son propre pays ? Si l’on peut dire qu’un patriote est celui qui aime son pays et un nationaliste celui qui hait celui des autres, alors, c’est un patriote. Pas plus que l’amour de sa province natale ne le sépare de celle des autres, lui dont l’ascendance sardo-savoyarde, la naissance provençale, les melting-pots algériens et parisiens, la seconde patrie normande, ont nourri l’œuvre, le corps et l’âme.

D’ailleurs dans le Dictionnaire des saints de sa bibliothèque, il se trouve lié à des hommes et des femmes de tous pays, et ceux qu’il représente dans la pierre, le bois ou le bronze n’ont pas de nationalité. Quant aux compagnons et aux artistes dont il est frère, ils  n’ont de patrie que leur foi et leur art, comme dans le Moyen-Âge aimé. Et ce n’est pas dans l’amitié. /… de l’église d’Algérie et de ses habitants anciens et nouveaux, ses compagnons de travail, pas plus que dans son hospitalière Provence ou dans l’accueillante Normandie qu’il aurait pu contracter des préjugés. Non plus dans le Félibrige tel que l’a voulu Mistral disant « les temps futurs sont plus à l’union qu’à la séparation » et tel que le reire capoulié Pierre Fabre le rappelle encore, dont le nationalisme, « amour de sa région, de son pays, de sa langue, combat contre la globalisation, l’uniformisation, n’est pas ethnocentrisme, communautarisme, identitarisme, bref, intégrisme ; la condition de survie est dans la capacité à reconnaître l’autre ».

=./…Vissac retrace ce qu’il sait de la création et de l’évolution des Pénitents noirs de la Miséricorde d’Avignon : ils avaient à leur tête Pompée Catilina, noble italien, originaire de Rietti, colonel de l’infanterie pontificale, chevalier de Saint-Michel, un des capitaines les plus distingués de son temps, si l’on en croit l’inscription placée sur son tombeau à l’église Saint Agricol./..

=Génoise. Cette frise provençale composée de tuiles (dites) romaines superposées et fixées dans le mortier supportant l’avant-toit de la maison aurait été introduite au 18e siècle en Provence par les maçons italiens, d’où son nom provençal : genouveso (de Gênes).

=Les Cassini :/… Premier d'une lignée d'astronomes qui dirigèrent l'Observatoire de Paris durant plus d'un siècle, il commence sa carrière d'astronome au service d'un riche amateur de Modène, le marquis C. Malvasia. Ses observations et ses publications lui valent d'être nommé professeur d'astronomie à l'université de Bologne en 1650. En 1663, il entre au service du pape. En 1668, Colbert lui propose d'être membre de la nouvelle Académie. Cassini ayant accepté, Colbert l'invite à venir en France afin de participer à la construction de l'Observatoire de Paris. Il arrive à Paris le 4 août 1669 et collabore aussitôt aux travaux de l'Académie, modifiant les plans de l'architecte Perrault pour adapter le bâtiment aux observations astronomiques. Dès 1671, avant même que l'Observatoire ne soit achevé, il commence ses travaux d'observation et de recherche. Malgré les rappels du pape, il manifeste le désir de rester en France et sollicite une naturalisation qu'il obtient en 1673.

En 1760 Louis XV charge César Jean François Cassini III de Thury de réaliser la première carte géométrique du royaume à l’échelle d’une ligne (2,45 mm) pour 100 toises (200 m), soit au 1/86 400e, en 180 feuilles de 50 à 80 km. Il se sert, s’appuyant notamment sur la triangulation, du réseau géodésique que son grand-père italien Jean Dominique. /… astronome qui fut le premier directeur de l’observatoire de Paris (comme tous ses descendants jusqu’en 1789), et son père Jacques avaient établi de 1683 à 1744. César et son équipe débutent les levées en 1753. Son fils Jean Dominique Cassini IV continue le travail jusqu’en 1789. /… Le travail des 30 années des quatre générations de Cassini sera pendant toute la première  moitié du 19e la  référence pour les cartographes européens.

=De Giono : Nous avions quelque 20 ans. J’arrivai d’Apt tout déconcerté et doutant de moi-même encore plus que d’habitude, parce qu’ayant dit mon admiration pour Giono à un camarade pour lequel j’avais alors une certaine considération tant il savait camoufler son inculture sous un aplomb très sûr de lui (qui lui a d’ailleurs réussi financièrement comme commerçant), il m’avait repris avec fermeté : « Giono ! Ça n’est pas vrai ! Il n’est même pas Français ! Il est Italien ! » Je le dis à Maurice, cet ami sant martinen, terrien de vieille souche, et il me répond : « Giono, non seulement c’est vrai, mais c’est pire… ». Quand au racisme anti-italien, qui fut si virulent avant la guerre de 40 au point d’entraîner souvent mort d’hommes, je savais qu’il n’effleurait pas un seul instant l’ami.

=SAGESSES. /… « Les gens d’ici, comme le dit Giono, sont graves, secrets, très timides. Secrets surtout… Capables de silences qui durent 20 ans. Ses terres, ses murs et ses gens, comme le dit toujours Giono « montent la garde autour de ce pays pur ». /…

=« Pertus a été choisi par le Centre régional du tourisme pour peindre une œuvre qui serait un authentique hommage aux Alpes de Haute Provence, éditée à plusieurs milliers d’affiches et diffusée à travers toute la Provence. Un berger et des moutons, sans doute du côté de St Martin de Castillon, avec, comme en toile de fond, les collines chères à Giono et le ciel azur à peine éclairci par quelques nuages blancs. Magique, naïf et ravissant. Une fois de plus à fondre de bonheur [C. Ardid 1982] ».

=« La pinturo de Segne Pertus es un cant d’amour à la vido, un inne à la joio, Lou cant dòu mounde per tourna dire lou titre ufanous de Jean Giono. Lou pintre a rescountra l’escrivan, aurié pouscu enlusi tòuti sis obro talamen soun proche l’un de l’autre ». La peinture de Maître Pertus est un chant d’amour à la vie, un hymne à la joie, le Chant du Monde pour paraphraser le fameux titre de Jean Giono. Le peintre a rencontré l’écrivain, il aurait pu illustrer toute son œuvre tant ils sont proches l’un de l’autre.

=Jean Giono (1895-1970) le grand écrivain de Que ma Joie demeure (1935) et des Vraies richesses (1936) (et de tant d’œuvres marquantes) réunissait sur le plateau du Contadour, au cœur de la Haute Provence, des compagnons convaincus comme lui des vertus d’un retour à la terre, pour la remise en culture des jachères, la réanimation des villages désertés, la cuisson du pain partagé au four collectif… Dans un esprit de paix, de solidarité et de sobriété, où les valeurs de partage et de joie auraient permis cette forme de bonheur attaché plus à la convivialité qu’à la possession et la parade, dans l’esprit de plus de liens que de biens. Certains en retrouveront la postérité en 1968, ou aujourd’hui chez certains écologistes ; peut-être même est-ce une utopie destinée à se réaliser, de façon adaptée, pour la sauvegarde de l’humanité (dans tous les sens du terme), dans la lignée des religieux.

=Discours pour les 50 ans de mariage d’Henri (Pertus et de Paulette), l’été 1982, à Saint Martin : Depuis cinquante étés Un homme et une femme Liés par un serment Qu’ils ont tous deux formé À l’aube de leur marche Et François qui les suit Du regard sur la route Une femme et un homme Liés par leur amour Et leur volonté bonne De donner du bonheur Et François qui sourit Du haut de sa toiture  (Tous deux étaient tertiaires de saint François.) Un homme et une femme Qui bâtissent la Paix Et joignent tant de gens De leurs mains fraternelles Et François qui posa Sa main sur leur épaule Paule tu m’as donné Dans un repas de Noces Une de ces idées Que l’on garde toujours Comme ton saint patron Dans ton intransigeance Pour la justice vraie Tu as montré du doigt À mon adolescence Le soleil de Justice Qui ne s’éteint jamais Paule un peu à Paul due Et à Vincent de Paul Et peut être aussi du Sang qui nous est commun Henri comme celui Qui sut créer la Paix Et vivre entre les loups La douceur du berger Et la vraie force Henri De France et de Navarre Et de Provence aussi Par la grâce de Dieu De Notre Dame belle Et de ton bon plaisir Avec l’accent d’oc Qu’il aima comme toi La langue des aïeux Accueillants et joyeux Pour lui ce fut la Paix Et la guerre et l’Amour Pour toi aussi Mais ton combat est création Egal cœur chaleureux Qui source dans ton œuvre  Chèvres de Giono Que rêva le poète Et que tes mains créèrent Au bleu de la Provence Sur fonds de Luberon caresse Si Giono et Mistral Sont réunis enfin C’est face à une de tes toiles Et François qui chantonne Respire tes couleurs Où sont les troupeaux et les vieilles Les fêtes originelles Les jardins envahis Où Adam attend Eve Et les enfants jouant Le long de notre mer Et le travail des hommes Transparent sous les terres Et celui qui nous aime Quand nous sommes unis.

=C’était dans les années 1937-1938 [Henri Pertus avait 29 ans]. Nous commencions déjà à subir le poids étouffant de la société industrielle. Jean Giono, le plus grand écrivain provençal en langue française, venait de publier Les vraies richesses, aussi devint-il notre prophète. Il passait l’été au Contadour, où il avait créé une communauté  humanitaire et écologiste avant la lettre, à une trentaine de km  de chez nous, au point culminant d’un plateau autour duquel se déroulent en panorama toutes les montagnes de Haute  Provence, du Luberon au Ventoux, du Ventoux à Lure, puis les montagnes de Digne, celles de Moustiers Sainte Marie, avec en arrière-plan les Alpes enneigées. Nous montons dans ce paysage merveilleux jusqu’à la grange où Giono rend ses oracles au milieu de ses nudistes. Oh, rassurez-vous, ce sont les gens du pays qui les nommaient ainsi parce qu’ils portaient des shorts. Giono nous reçoit aimablement et après avoir effleuré maints sujets, je lui montre une toile que j’avais apportée à tout hasard. Il me la critique avec bienveillance, puis, avisant une chèvre que j’avais indiquée dans un coin, il me dit : Mais ! Une chèvre, c’est bien plus beau que ça. En même temps offusqué et éclairé, je me suis piqué au jeu et j’ai étudié les chèvres, ce qui était facile à l’époque. À présent le bétail se fait rare, il n’y a plus de chevaux, et s’il reste quelques moutons, les chèvres qui venaient manger régulièrement les pauvres fleurs que j’essayais de faire pousser ont presque disparu. Maintenant j’ai des fleurs, mais il n’y a plus de chèvres. Ensorcelé par l’animal, je l’ai étudié constamment et en suis devenu un spécialiste. Je lui ai même consacré une sérigraphie.

=L’ensoleillement de Saint Martin de Castillon, est en effet remarquable, comme dans toutes les Alpes du Sud, admirable particulièrement en hiver, grâce à l’air pur et transparent libéré de toute poussière ou pollution, particulièrement pour le village au-dessus des brumes et nuages bas de la vallée. Cette transparence exceptionnelle de l’air s’observe particulièrement après la pluie, ou bien quand souffle le mistral [Voir** mistral à Signes du Temps],  qu’alors « l’air est si pur qu’il est devant les yeux comme une loupe » comme le dit Giono.

=LUBERON,  ses Mages. [Mage, magicien, Majo, plus grand] Henri Bosco (dont le nom rappelle l’origine des siens en Italie du Nord) : Le Trestoulas, le Mas Théotime « Il y a dans la Haute Provence une montagne qu’on appelle le Luberon. Jadis sur ses hauteurs vécurent des troupeaux de centaures. Le Luberon était un dieu. Du moins les poètes l’affirment. Sources et bouquets d’arbres y attestent encore la présence des nymphes » …/… Les deux peintres de sa Terre, son Ciel et sa Fraternité : Serge Fiorio (1911-2011), l’ami, cousin de Jean Giono, et Henri Pertus**.

=LAVANDE ET LAVANDIN. « La lavande est l’âme de la Haute Provence [J.Giono]». /…

=GUERRE de  1939-1945. [Voir** Prisonniers, Résistance]. Le plus jamais ça des poilus de la DER des DER fera un certain nombre d’antimilitaristes, ou plutôt beaucoup de pacifistes passionnés et constants, dont Jean Giono et le philosophe Alain (Emile Chartier) seront de grands exemples ; hélas, en un temps où l’Allemagne ne représentait plus une nation de prochains mais la criminelle idéologie nazie, et que le pacifisme ne pouvait être de mise à son égard. L’espoir assassiné de Jaurès d’une conjonction des peuples pour refuser la guerre de 1914 s’était d’ailleurs lui même avéré utopique

=La soupe, dans bien des lieux, a longtemps été le plat unique ; Giono a parlé de cette auberge où, pour une somme donnée fixe, l’on avait le droit de planter une seule fois à l’intérieur de la grosse marmite mijotant sur l’âtre une grande fourchette, et d’en retirer tel aléatoire morceau de viande pour compléter son bouillon.

=CABARETS,  CAFÉS,  AUBERGES. « Ce(s) grand(s) magasin(s) de la solitude où l’on venait acheter l’indispensable divertissement de Pascal [Giono] ».

=« La pétanque est par excellence un art latin, qui demande encore plus d’éloquence que de muscles et d’adresse. Par un curieux mimétisme, les grands nordiques blonds, tous les Flamands, Scandinaves, Germaniques ou Anglo-Saxons s’exclament et jurent devant un carreau particulièrement réussi. La pétanque est avant tout et pour tous, un plaisir. Elle participe d’un certain art de vivre [P.V. Ponté]  ». Jean Giono a célébré le jeu de pétanque, et Marcel Pagnol a donné à Christian Plume cet exergue fraternel qui ne fera sourire que les petits esprits : « Il nous restera la fierté d’avoir inventé ce jeu pacifique  qui, en faisant le tour du monde, travaille modestement mais sûrement, pour le rapprochement des peuples, c'est-à-dire pour la Paix ». N’est-ce-pas, Marcus, ami allemand, maintenant médecin, qui parle français avec un bel accent provençal, l’ayant appris, jeune étudiant en vacances ici, en jouant aux boules ?

= Le Haut-provençal : « Homme renfermé et grave, même sévère qui ne livre jamais ni son bon ni son mauvais côté. S’il rit c’est du bout des lèvres. Jamais personne n’a parlé de son humour à froid. C’est cependant de quoi, au contraire, il se sert constamment, mais avec tant de finesse qu’il faut être du pays pour le comprendre. Il ne cherche pas d’ailleurs à se faire comprendre ; il n’insiste pas ; ce n’est pas pour le public qu’il est subtil, c’est pour lui-même. Il est d’une vivacité d’esprit surprenante [Giono] ».

=./…Il y aurait donc un haut risque d’anachronisme de parler de bénédictins(e) avant cette date. Il faudrait être sûr que ces moines ou moniales de Saint Martin suivaient la règle de saint Benoît. Or cette règle, écrite en Italie au 6e siècle ne s’est pas imposée dans le reste de l’Europe avant le 9e siècle (Concile d’Aix la Chapelle en 818, à l’instigation de saint Benoît d’Aniane et Louis le Pieux, successeur de Charlemagne, obsédé par l’unité de l’empire ; le saint Benoît, d’abord abbé de Maguelone puis d’Aniane au 9e siècle, qui doit être distingué de saint Benoît de Nursie, rédacteur principal de la règle des moines au 6e siècle), en commençant par le nord (Angleterre, puis Germanie). Et encore, après beaucoup de résistances. Elle s’est d’ailleurs répandue grâce à la « règle mixte » de saint Colomban, qui en a retenu des fragments.

=Beaucaire (foire). Depuis le Moyen âge, pour d’évidentes raisons géographiques et politiques (Beaucaire étant sur la rive française du Rhône), la foire de Beaucaire drainait, pour 7 à 8 jours entre le 20 et le 28 juillet à partir de la fête de sainte Madeleine, une centaine de navires et des milliers de charrettes amenaient une foule de marchands (notamment de textiles) et de bateleurs et de filles de petite vertu venus avec leurs marchandises par le fleuve et la route de toute l’Europe, particulièrement d’Espagne et d’Italie, mais aussi d’autres pays méditerranéens. On comptait suivant les années 30 à 50 000 participants. L’Avignonnais Pierre Louis Fulconis dut passer le Rhône sur le pont de bateaux puisque le pont suspendu de Tarascon ne fut ouvert que le 14 octobre 1829. /… les marchands qui y venaient n’avaient à payer aucun droit. Le débiteur y était à l’abri de la contrainte par corps, le criminel lui-même, la foire constituant une forme de lieu d’asile. La foire qui fut longtemps la plus importante de France. /… perdurera jusque vers 1850.

=Les commerçants grécoprovençaux de Massalia exportent du vin vers l’Italie dès 550 avant  Jésus Christ. Les vignobles qui, jusqu’au moment de la conquête romaine, n’avaient pas dépassé un certain rayon, se propagèrent ensuite tellement, non seulement le long des rives du Rhône mais partout en Gaule, que Domitien pour protéger le vin de l’Italie, prétendit ne laisser subsister dans les provinces que la moitié au plus des vignes existantes et fit arracher l’autre moitié.

=./…D’autre part les Italiens ont découvert que les vers à soie voulaient bien monter  sur des sortes de hérissons de plastique qui ont sur la bruyère un double avantage, ils peuvent servir plusieurs fois et il n’est pas nécessaire de prendre le temps d’aller les chercher en montagne. /… L’éducation  des vers à soie venait de loin, dans l’espace et dans le temps. C’est en Chine, il y a 47 siècles, que sa domestication débuta. La légende veut que l’impératrice Si Ling Tchi, ayant laissé tomber un cocon dans sa tasse de thé, s’aperçoive qu’il en sortait un fil aussi solide qu’un fil d’acier (et il est vrai que le fin fil de soie est, à diamètre égal, aussi solide que de l’acier). C’est à son règne, et à celui de son époux l’empereur Hoang Tiv, 2 650 ans avant JC, que la tradition chinoise fait remonter l’élevage de la chenille du bombyx du mûrier. Elle fut, dans le panthéon chinois, élevée au rang des Esprits sous le nom de Déesse des vers à soie. L’industrie de la soie resta l’apanage de la Chine pendant 30 siècles, ses secrets protégés par de sévères édits. Au 5e siècle  une princesse chinoise, mariée au roi d’un petit pays voisin, aurait emporté secrètement des graines  de vers à soie [œufs]  et de mûrier. Son peuple qui fit vite de grands progrès dans l’industrie de la soie vint finalement s’établir dans une région proche de la Perse, en Serinde (région à la limite ouest de la Chine, partie de l’Asie centrale, correspondant actuellement au Xinjiang, qui fut au cœur  du commerce de la soie et de la transmission du bouddhisme). Là, comme en Chine, le secret du monopole était sévèrement gardé, mais en 552, conte le Byzantin Procope, secrétaire de Bélisaire et historien de Justinien, 2 moines chrétiens qui passaient dans le pays réussirent, au risque de leur vie, à emporter les précieuses graines dans leurs bâtons de marche creux. Le monde entier allait pouvoir bénéficier du présent qu’ils apportèrent à Constantinople à l’empereur Justinien. La sériciculture prit d’abord en Grèce un tel développement qu’elle prie le nom de Morée (de mûrier). Les Arabes la répandirent partout où ils vivaient, et notamment en Espagne dès le 8e siècle. En 1130 elle pénétra dans le royaume de Sicile, puis passa en Italie au 13e siècle, siècle où on en trouve trace dans le Gard.

=Au Moyen âge, ainsi au 14e siècle, les corsaires et pirates espagnols, italiens (en 1400 des corsaires génois prirent d’assaut le monastère de Lérins, succédant aux Sarrasins qui en avaient massacré les moines), orientaux et provençaux écumèrent la Méditerranée. Souvent Maures, Sarrasins ou Grecs faits prisonniers lors de courses étaient alors vendus comme esclaves sur le marché de Marseille.

=Max Philippe Delavouët, Le poète ami dit aussi : « Pertus était un imagier et je vois là la marque de son authenticité. Ils étaient imagiers aussi nos aïeux éternellement jeunes de Saint Trophime et de Saint Gilles, et tous nos vieux cousins d’Italie qui faisaient pour leur joie comme pour la nôtre la menue miniature et la fresque largement répandue ».

=En 1927 j’ai  (dit Henri Pertus) été reçu au concours de l’école des Arts décoratifs, je suis parti pour Paris. J’ai été l’élève d’Ernest Laurent aux Beaux-arts, c’était un néo-impressionniste, /... J’ai été émerveillé par les peintres italiens du Quattrocento : Giotto, Fra Angelico, Piero della Francesca, Botticelli, etc. La fresque me plaisait beaucoup, je suis devenu un spécialiste. Resté 5 ans à Paris, j’ai travaillé en 1931 [à 23 ans]  avec Ducos de la Halle sur la grande fresque du Musée de la France d’Outre Mer à Vincennes.

=En fait les confréries de pénitents apparaissent en Italie du Nord au 14e siècle. C’est à partir du 15e siècle  que l’on note une grande expansion des confréries dans tout le comté de Nice à l’instigation des Franciscains et des Dominicains, et où par exemple la confrérie de Saint Etienne de Tinée est installée dès 1451. Mais ce sont la seconde moitié du 16e siècle et surtout le 17e  qui marquent l’apogée des confréries de pénitents dans les moindres bourgs où l’on constate que la plupart des hommes s’enrôlent en un véritable phénomène de masse. Cependant on sait l’influence des Franciscains à Castillon et Saint Martin au moins dès la première moitié du 14e siècle  comme cosignataires par exemple de la charte de 1336. /…

=./…Les curés Henri Olive et Marius Méritan sont les auteurs de ce cantique. Marius (qui fut secrétaire de l’Académie de Vaucluse) est le frère de Jules, François, Marie, né le 21 décembre 1868, ordonné le 21 décembre 1891, archiprêtre d’Orange où il meurt le 20 mai 1949, auteur de diverses publications. /… Leur cousin  Méritan (Elzéar Louis) dont le tombeau est à Saint Sulpice à Paris, dont il a été curé, est natif de St Martin le 9 avril 1828 et décédé chanoine honoraire de Paris le 2 novembre 1899. Après le petit et grand séminaire d’Avignon, il est à celui de Saint Sulpice en octobre 1849, en 1861 professeur de théologie au grand séminaire de Lyon dont il en devient supérieur le 4 septembre 1870. À partir du 13 février 1875 il sera curé de Saint Sulpice pendant près d’un quart de siècle. Il créera dans la paroisse différentes écoles et institutions de charité. Ces Méritan sont cousins avec la branche notariale de St Martin, parente de même avec la branche de Saignon et d’Apt (qui donna Isidore Justin (1862-1928), avocat, député du Vaucluse en 1919, qui fut à l’origine du rétablissement des relations diplomatiques de la France avec le Vatican par son discours à l’assemblée nationale applaudi jusqu’aux bancs de gauche). L’origine de la famille Méritani est italienne, de Novare, venue, d’après la tradition familiale, au temps des papes d’Avignon.

=Il y avait en 1857, au moment de la création de la médaille de Sainte Hélène par Napoléon III, encore 405 000 survivants déclarés des volontaires des 35 pays d’Europe qui avaient combattu sous le drapeau tricolore de 1792 à 1815. On sait l’importance des contingents étrangers dans la Grande Armée, qui a compris jusqu’à 2 200 000 hommes, et dont les 600 000 hommes de la campagne de Russie, n’étaient Français qu’à 40%. 55 000 Allemands, Autrichiens, Belges, Croates, Danois, Espagnols, Hollandais, Irlandais, Italiens (notamment les nombreux du royaume Sardo-Savoyard dont une partie allait devenir Français par la réunion du Comté de Nice et de la Savoie en 1860), Luxembourgeois, Mamelouks, Polonais, Suisses etc.  se virent décerner la médaille du souvenir.

=C’est Jehan Louis Fulconis, originaire de Saint Etienne de Tinée comme la plupart des Fulconis provençaux, notaire de Cucuron, qui va être le premier notaire provençal à employer dans ses actes la langue française. Il applique le 5 novembre 1539 l’ordonnance dite de Villers Cotterêts datée et signée de François 1er le 5 août 1539, enregistrée le 6 septembre par le parlement de Paris et publiée à Aix le mercredi 5 novembre. C’est en effet le jour même de la publication que Jehan Louis Fulconis rédige son 1er acte en français. Les autres notaires provençaux seront, d’après Gabriel Audisio (né à Marseille en 1900, d'un père piémontais, directeur du théâtre municipal d'Alger et puis de l'Opéra de Marseille), moins prompts à quitter le latin. Rencontre singulière que l’histoire nous réserve : un Fulconis, originaire de Saint Etienne de Tinée, est le premier à utiliser le français dans son office notarial ; un Fulconis, comme lui originaire de Saint Etienne, est celui qui crée, avec sa Coupo, baptisée sainte par Mistral, le symbole provençal le plus pur… Il est vrai que le premier n’abandonnait pas le provençal, qu’il devait obligatoirement pratiquer avec tous, mais le latin, que ses clients ne devaient guère plus comprendre que le français, et que le second a conçu sa coupe comme un symbole de fraternité universelle. « Jean Louis Fulconis, natif de St Etienne de Tinée, demeurant à Cucuron », se verra décerner ses « lettres de naturalité », qui d’Italien le rend Français, dès avant 1542 année où les obtient son frère prêtre Antoine…

=Dans l’été brûlant on vient faire la sieste  dans la chambre, après le repas de midi ou dîner  au sens propre de la campagne, le temps que l’on peut, qui peut, rarement, dépasser l’heure. C’est qu’en Provence, comme dans tous les pays méditerranéens (Espagne, Grèce, Italie, Maghreb…), « le soleil se lève deux fois, une fois le matin et une fois après la sieste ». Cette sieste (de siesta, espagnol, du sexta hora, la sixième  heure des Romains, après le repas de midi) aujourd’hui redécouverte et recommandée par les hygiénistes, d’autant plus qu’elle occupe les heures les plus caniculaires sous nos climats et que cette brève halte permet de recommencer les travaux jusqu’au coucher du soleil…

=En 2007 les deux derniers survivants français de la Grande guerre, 110 ans tous deux, ont refusé par avance les obsèques nationales promises au dernier survivant. Lazare Ponticelli, immigré italien, engagé volontaire dans la Légion étrangère, a déclaré : « Je refuse ces obsèques nationales. Ce n’est pas juste d’attendre le dernier poilu. C’est un affront pour tous les autres, morts sans avoir les honneurs qu’ils méritaient ». Quant à Louis de Cazenave, revenu du front pacifiste convaincu, il a déploré que « certains de ses camarades n’ait même pas eu droit à une croix de bois », ce qui fut le cas, entre nombreux autres, de Georges Méritan.

=À l’origine la Narbonnaise, fondée par Auguste en 27 avant JC, comprend toute la Provincia  Romana, la Provence, cette autre Italie comme le dit Pline, qui comporte Nice, Fréjus, Marseille, Arles, Nîmes, Vienne, Lyon, Carcassonne, Toulouse, et bien entendu Narbonne. 3 siècles après, elle est divisée en 3 circonscriptions : la Viennoise (du nom de sa capitale, comportant toute la vallée du Rhône), la Narbonnaise première  (du nom de sa capitale Narbio Martius (Narbonne) fondée en 118 avant JC par Domitius Ahenobarbus), territoire entre Rhône, Pyrénées, Garonne et Gaule Aquitaine, la Narbonnaise deuxième  (capitale Aix), comprenant Dauphiné et ce qui sera la Provence sans les Alpes Maritimes. Dans le même temps Ahenobarbus aménage la route stratégique de pénétration et de contrôle qui relie l’Italie à l’Espagne et qui porte son nom [Voir** Via Domitia].

=L’origine de la danse des Fileuses  n’est déterminée, ni dans le temps, ni dans le lieu. On a émis l’hypothèse qu’elle pouvait provenir d’Italie à cause du personnage d’Arlequin. Le personnage d’Arlequin a été importé en France à la toute fin du 17e siècle par des acteurs italiens. A-t-il été ajouté à la danse ou serait-il contemporain de sa création ? Il a probablement été introduit dans une danse déjà pratiquée. Notre sentiment est que la danse des Fileuses est bien plus ancienne, et que la danse primitive a été progressivement enrichie, par ce personnage, et par d’autres, comme par des paroles qui n’étaient pas prononcées à l’origine. /…

Comme beaucoup de danses du monde de la terre, on ne peut les dater historiquement, mais elles sont le fruit du peuple paysan, en même temps soucieux de rituels protecteurs en rapport aux mystères de la vie et aux forces de la nature, et conscient de la nécessaire solidarité du groupe communautaire pour le succès des ensemencements et de la préservation des récoltes. Et ce sont les paysans qui ont maintenu ces rituels dans leur symbolisme originel, malgré la censure bourgeoise et cléricale plus ou moins observée, jusqu’au moment où la diminution de leur nombre les a privés de cette propriété culturelle, comme de beaucoup d’autres.

=FERRI, FERRY (de). Des membres des différentes branches  de Ferry ont assumé des responsabilités communales et régionales pendant plus de 2 siècles. Grande famille de verriers, la tradition de l’art de la verrerie chez les Ferry (Ferri) remontait à la lignée de leurs ancêtres italiens dont la dernière implantation dans leur pays d’origine était Altare dans le Montferrat.

=À Apt, Sauve  trouve trace de maîtres d’école en 1364 dans les premières délibérations communales  conservées. Il émet l’hypothèse logique qu’il n’est pas improbable que les édiles aient dû manifester antérieurement à cette date leur intérêt pour l’instruction des enfants. Les maîtres originaires de différentes provinces au sud de la Loire et même d’Italie, étaient engagés annuellement, ils commençaient leur enseignement le 1er  octobre  et disparaissaient en mai afin d’occuper leurs bras, pendant la belle saison, aux travaux agricoles.

=C’est en 1336 que Pétrarque, l’Italien, le premier humaniste, et son frère firent l’ascension du mont Ventoux. Partis de Malaucène au petit matin, ils y reviennent au milieu de la nuit et Pétrarque y écrit, dit-il, sa célèbre lettre relatant leur aventure, qu’il date du 26 avril 1336 à son ami le moine italien Dionogo da Borgo San Sepolcro.

=Baptiste Fognigni de Saint Martin de Castillon, arrive en France en 1925, à l’âge de 4 ans. Son père Dominique, bûcheron, est originaire de Bergame [de ces Lombards qui, comme les Piémontais de la région de Turin en raison de leur compétence ancestrale dans les métiers de la forêt, sont, dès 1860, appelés par les exploitants forestiers Français ; de cette époque à 1914 dix millions d’Italiens s’exilèrent] : « Pour le charbon de bois il n’y avait que des Italiens. Avec le traîneau et le cheval on descendait le charbon de bois. On travaillait pour Bassanelli de Céreste, 7 ou 8 équipes de familles travaillaient pour lui, d’autres venaient tous seuls, leur famille restée en Italie ».

=Autour de 1914 le Boisset avait une auberge renommée « Il était tenu par la Gaëtana, Italienne grande et rondelette. /… Sa clientèle, c’était surtout des ouvriers qui travaillaient dans les environs, à l’usine de souffre du Griffon, des charbonniers, bûcherons, ouvriers agricoles, ou charretiers. Aussi les gens du pays, qui allaient faire la partie de cartes, le soir, ou se payaient un petit repas pour certaines occasions. Enfin quelques marchands ambulants qui passaient régulièrement dans le village. Sa cuisine était renommée, on y mangeait bien, à bon prix, et c’était propre. La Gaëtana avait été cuisinière à l’hôtel-restaurant des Alpes à Apt, elle y attirait de nombreux clients grâce à sa bonne cuisine. Ses spécialités étaient la salcicia (saucisse)  grillée, le boudin, l’omelette truffée, la pasta ciutta (pâtes à la sauce tomate), les raviolis, la polenta, les crêpes, les oreillettes. Les hommes d’un certain âge venaient courtiser la Gaëtana, qui n’avait pas de mari. Il y avait parfois des bagarres dont elle sortait toujours victorieuse, car elle était très costaud. L’Antoine, cordonnier à la Bégude, avait reçu plusieurs de ses gifles [Germaine Liautaud] ».

=Dumas des Bégudes employait des Italiens comme scieurs de long, les Nervi [vite devenus Français et futurs patriotes Résistants]. Ils faisaient des traverses pour le chemin de fer. Il en partait tous les jours 2 ou 3 wagons de la gare de Saint Martin. François Nervi, la souche de la famille en France, premier  arrivé, a fait venir ses frères (dont le père de Segond) et des membres de la famille, de Tiglieto au-dessus de Gênes. Ils sont venus à pied en traversant le col de l’Arche, soit une marche de 400 km. /… « C’est le garde forestier qui m’a contacté pour la Résistance. Il était employé par l’entreprise Saint Germain et Roquerbe spécialisée dans le bois de gazogène. Le patron, qui parlait 7 langues couramment, dont l’Italien, lui avait offert le double de ce qu’il gagnait jusqu’alors pour surveiller dans la région les chantiers où travaillaient les Annamites. Disposant d’une moto et d’un laissez-passer c’était une recrue de choix. Quand il fallait voir les parachutages je ne le savais qu’une heure avant. À Lagarde d’Apt, Sault, c’était Fernand Jean qui s’en occupait. J’ai assisté à une vingtaine de parachutages. Un même soir une cinquantaine de parachutes ; on avait une lampe torche pour les signaux, les 3 ou 4 présents de Lagarde ou d’Apt on ne savait plus où se mettre pour que ça ne nous tombe pas sur la tête. [Segond Nervi 2007] ».

=L’acte d’habitation, contrat collectif liant le seigneur du lieu et ses nouveaux colons, tous hommes libres, marque le repeuplement d’un village déserté et les droits d’usage des terres sous forme de concession à perpétuité. Il pouvait par une sorte de cahier des charges faire état d’un plan pour les terrains à bâtir et le lotissement des terres à défricher. Ce type d’acte fut d’abord utilisé en Italie, puis en Provence, surtout dans le Var et le Luberon.

=On doit souligner le dévouement de Jean Isaïa, arrivé tout jeune d’Italie, puis marié à une française, vite naturalisé, maître maçon et le plus souvent maître d’œuvre pour les lieux historiques et religieux de la commune. Le chantier de Notre Dame des Courennes en est le plus beau témoignage puisque le devis qu’il avait conseillé de demander, fourni par l’entreprise M. d’Apt, se montait à 210 000 F plus 100 000 F pour le pavage, soit un total de 310 000 F, fonds économisés donc grâce à Jean, à part une petite somme allouée au carreleur chargé de famille. Jean est l’auteur bénévole de la réfection complète de l’oratoire de la montée de l’église et de la porte de la chapelle Saint Placide. D’autre part la mairie fit appel à lui pour la réfection du toit de la chapelle dites des Pénitents et sa génoise, la consolidation du clocher de l’église du Boisset qui s’écroulait et la réparation de sa voûte coupée en deux ; à la Bergerie de Berdine (cette grande œuvre de solidarité) il bâtit le four et l’infirmerie.

=Folco de Baroncelli Javon (1869-1943) est le fils d’une vieille famille florentine aristocratique venue dans le Comtat au 15e siècle, qui y acquit le château de Javon et son marquisat, en même temps qu’à Avignon ce qui sera appelé le Palais du Roure. Par tradition familiale vite impliqué dans l’amour des hommes et des terres de Provence il en parle la langue, comme les siens, et devient vite le jeune ami enthousiaste de Roumanille et de Mistral avec qui il va diriger le journal L’Aïoli. Dès ses 20 ans il publie en provençal son premier ouvrage, Blad de Luno, puis un an après Babali. Par un trait de génie il se prend de passion pour la Camargue, alors terre désolée où subsistent quelques taureaux dégénérés, et décide d’y faire vivre une Camargue exemplaire en y recréant par sélection une race de taureaux de valeur de belle allure et en y entrainant les hommes. Mistral lui aurait dit alors : Je te confie la Camargue. Donnant l’exemple il s’installe à la fin du siècle près des Saintes Maries de la Mer, avec sa manade de taureaux et ses gardians. Sa vie se passera à se dévouer à la cause camarguaise, à la (re)création de ses traditions, comme la codification de la course à la cocarde où l’affrontement entre l’homme et la bête ne se termine pas par la mort du taureau. Jusqu’au symbole de la Croix camarguaise dont il eut la belle idée. En 1909 il fonde la Nacioun gardiano, destinée à perpétuer et à parfaire son œuvre pionnière. /… Laissant le souvenir d’un homme généreux et lucide, il a défendu nombre de causes, entre autres, celles des Boers, des vignerons du Languedoc, des Républicains espagnols, des Gitans, des Indiens d’Amérique… Désintéressé et engageant tout pour la cause provençale et camarguaise, il fut, sauvé de la ruine par son amie Jeanne de Flandresy qui lui acheta le Palais du Roure. /…

=Le propriétaire de la maison sur la placette [du Boisset], donnant sur 2 andrones*, célibataire encore sur le tard, s’appelait Pierre, Lucien, Turin (de famille originaire de Turin). Je le revois partir sous son feutre de guingois, la faux sur l’épaule, pour faucher le blé, la faucille pour former la gerbe et l’écheveau de liens pour la nouer. On se plaisait à lui dire : Bè, ounte vas coum’aco ? Ben, où vas-tu comme ça ? Parce qu’il répondait invariablement : Partens toutes tres, Pierre, Lucien et Turin ! (Nous partons tous les trois) Et il riait fier comme au premier  jour de ce mot d’esprit : il composait la saouko (l’équipe de moisson) à lui tout seul !*

 

  22 juin 1944 par André Pierre Fulconis.
Henri Pertus, peintre admirable !
Un livre-trésor !
Témoignage d'André Pierre Fulconis.

Apport d'un témoignage sur Giono au Contadour par notre ami André PierreFulconis.

Les fils de Saint-Martin par André-Pierre Fulconis.

 

 

 

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