Portraits en pied par Ismaël.
- PORTRAITS EN PIED -
«LES SANS-DENTS » et «LES GENS QUI NE SONT RIEN»
Par messieurs Louis le Nain, Vincent Van Gogh et Serge Fiorio
Mis en musique sur un poème de Victor Hugo
Bref épilogue par Herman Melville
Serge Fiorio - Halte des réfugiés espagnols - 1946/1947
Didascalies :
L'action se situe en France, de nos jours (mais les tableaux accrochés aux murs témoigneront clairement que celle-ci ne date pas de hier)
Les personnages sont totalement anonymes, on sait seulement qu'ils ne sont à l'origine d'aucune start-up (D'ailleurs aucun d'entre-eux ne cause le franglais en usage dans les succursales de La City)
Sur scène ils apparaîtront groupés, unis, solidaires. Dignes surtout.
Le jeu des acteurs, sans la moindre prétention, mais avec une sincérité toute naturelle, permettra de saisir dès leur apparition sur le plateau leur infinie modestie autant que leur infinie grandeur.
Il sera dès lors parfaitement inutile d'ajouter un quelconque commentaire aux regards des peintres, leurs œuvres parleront pour eux.
Il n'y aura par suite aucune conclusion définitive (on peut imaginer que les auteurs associés souhaitent ainsi que les spectateurs demeurent entièrement libres de leur ressenti, y compris de leurs émotions); les seules paroles prononcés, sans emphase, mais très sereinement, seront celle du poème de Monsieur Hugo.
Unique exception pour le final, une très courte phrase d'un autre écrivain géant - dans laquelle figure possiblement un mot cher à chacun des artistes présents au générique de la présente réalisation - précèdera le baisser de rideau.
* * *
(...)
Alors, tremblante ainsi que ceux qui font le mal,
Elle dit : « A propos, notre voisine est morte.
C’est hier qu’elle a dû mourir, enfin, n’importe,
Dans la soirée, après que vous fûtes partis.
Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.
L’un s’appelle Guillaume et l’autre Madeleine ;
L’un qui ne marche pas, l’autre qui parle à peine.
La pauvre bonne femme était dans le besoin. »
Vincent Van Gogh - Les mangeurs de pommes de terre - Avril 1885
L’homme prit un air grave, et, jetant dans un coin
Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :
« Diable ! diable ! dit-il, en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?
Bah ! tant pis ! ce n’est pas ma faute. C’est l’affaire
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.
Serge Fiorio - La famille ouvrière - Haute époque dite de Taninges - 1933
Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons ?
C’est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits ! On ne peut leur dire : Travaillez.
Femme, va les chercher. S’ils se sont réveillés,
Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte.
C’est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte ;
Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.
Louis le Nain - Famille de paysans dans un intérieur - Vers 1642
Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche,
Serge Fiorio - Ouvriers au repos chantant - 1942
.
C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?
D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.
- Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà ! »
Victor Hugo - Les pauvres gens - extrait.
Petites épopées, première partie de La légende des siècles - 1862
* * *
Ah, Bartleby ! Ah, Humanité !
Herman Melville - (toute dernière phrase de) Bartleby le scribe (Petite chronique de Wall Street) - 1853
Baisser de rideau.
Serge Fiorio - La chambre des ouvriers - Époque de Taninges, 1932
p.o.
Ismaël Mettons, le 2 juillet 2017