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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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8 mars 2024

Lanza del Vasto par Claude-Henri Rocquet

   Voilà deux hommes que Serge a rencontré par la grâce de son amitié fructueuse avec l'écrivain Luc Dietrich à qui il rendait visite au sanatorium du Plateau d'Assy en Haute-Savoie.
Lanza en 1941, à Toulouse, cathédrale saint Sernin. C-H Rocquet à Montjustin, dans son atelier, en 2010. Visite d'où naîtront les soixante pages de Rêver avec Serge Fiorio.

*

« La rencontre de Lanza del Vasto est l'une des grâces majeures de ma vie. Si vers ma vingtième année je n'avais pas rencontré cet homme, sa lumière, son enseignement, et sa patience envers le jeune maladroit que j'étais, aurais-je eu connaissance du très ancien et toujours vivant chemin de l'homme, aurais-je commencé d'ouvrir les yeux dans la nuit intérieure, aurais-je su dissiper enfin le mensonge de l'inepte violence ? Mais cette grâce, qui fut d'abord un émerveillement, j'en ai sans doute longtemps méconnu la nature et la force. Longtemps, je me suis tenu à l'écart de cette grande figure paternelle, j'étais irrité de sa foi en ce Dieu dont notre bavardage fait un mort, un ennemi ; je me crus même un cœur hostile à ce cristal. Pourtant, à travers les années, parfois, il m'arrivait de rêver de lui et de ses compagnons; et la blancheur de ces rêves au réveil m'était douce : lumière et laine dans le désert et la confusion des jours.
Moi ! Qui, moi ? Qui suis-je et qu'est-ce qu'être ? ” C'est la question qui m'avait frappé, heurté ; c'est la semence lancée en moi et qui sous la dureté banale de ma vie, sous la carapace commune, sous l'oubli, n'avait cessé de croître. Quand, par la grâce du temps et par le détour d'un philosophe très étranger à Lanza, cette question m'est revenue, poignante et vive, j'ai su qu'il est toujours l'heure de commencer à vivre. Et j'ai eu le désir de me trouver à nouveau face à Shantidas, de l'entendre, et de le regarder : je ne craignais plus désormais le visage et la parole d'un juge ; je pouvais, tel que j'étais, de tout cœur l'admirer et l'aimer. Les Entretiens que je lui demandai furent le prétexte de la nouvelle rencontre. Et ce jour-là, pour me présenter à quelques compagnons italiens qui l'entouraient, roi patriarcal dans la salle commune d'une ferme, Lanza dit : “ È un vecchio vecchio amico. ” [...]

Lanza C-H Rocquet photo ParodiPortrait de Lanza del Vasto : celui d'un roi pèlerin. C'est un seigneur qui vous reçoit et là où il se tient se trouve le centre du monde, c'est d'un nomade qu'un instant vous croisez le chemin. Homme souverain, homme libre. Comme venu des plus vieux temps de Palestine, ou de Byzance, ou de la Renaissance — homme archaïque, et cependant sa présence dissipe les grinçantes vieilleries de la modernité : cet homme étrange parmi nous voici qu'il a simplement le naturel des arbres et des rocs, la dignité de l'animal, le regard, la parole, le geste de l'homme attentif à sa vie. Luc Dietrich appelait son ami “ le Lion ”. L'âge a confirmé la justesse de cette image : c'est un lion qui tourne vers moi son long visage pensif et la flamme d'une barbe blanche. C'est saint Jérôme en sa caverne qui d'une voix forte et murmurée, souffle léger, lit ce qui est écrit et doit être entendu. Quelqu'un se tient sous cette apparence et vous regarde sans s'oublier soi-même. On fait rarement cette rencontre aujourd'hui. Lanza n'aurait-il jamais écrit, ni rien dit, sa seule présence et son visage auraient suffi à en réveiller plus d'un : tu rencontres son regard et tu vois la profondeur et l'énigme d'être homme.
Mais la connais-tu ? [...]
J'ai cheminé au côté de cet homme légendaire. Heures parmi les plus précieuses et les plus hautes de ma vie que celles que j'ai passées en sa présence. Je songe à lui et le revois dans sa chambre se lever pour me montrer le recueil de ses dessins ou les photos de tout ce temps accompli. Et cet instant le plus profond : il faisait nuit, il régnait sous les cèdres de la Borie-Noble un noir d'avant l'aube du monde, j'entrevoyais à peine Lanza dans son vaste manteau de laine blanche, il murmurait : “ L'heure la plus belle. L'heure la plus belle ! ” Je le raccompagnai jusqu'au bas de l'escalier. Je quittai un roi solitaire dans la nuit. Comment pourrais-je dire le sentiment que j'éprouvais d'avoir un instant côtoyé l'abîme et la présence d'un homme dont l'être veille ?
Je repris la route vers la ville. Souvent, revenant à la tombée de la nuit, je prenais une route pour une autre, je m'égarais un peu dans la montagne. La nuit venait très vite. Je pensais à notre dialogue de la journée. Je me souviens d'un paysage de roches dans l'ombre et la lumière mêlées, je me souviens d'une vallée déserte où soufflait avec acharnement le vent. Les nuages rampaient et couraient plus bas que la route. Le vent couchait des barres de pluie noire sur le monde. »

 

Extraits de la Préface de Claude-Henri Rocquet dans Les facettes du cristalses entretiens avec Lanza del Vasto, Le Centurion, 1981. Réédition revue par l’auteur et augmentée d’une postface, Le bois d’Orion, 2016.

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