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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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4 novembre 2016

Au fil de la plume.

 « Je vis, c'est vrai, dans une campagne tout à côté du Creusot.

Mais mon vrai pays, c'est la page blanche. » 

Christian Bobin.

   Un peintre, un artiste quel qu'il soit, mais pourvu qu'il en soit vraiment un ou une authentique - et là, pour me faire quelques amis de plus en ce milieu, je ne peux passer sous silence, d'entrée, tous les autoproclamé(e)s et ceux, celles, fabriqué(e)s de toute pièce par les éditeurs, les Écoles d'art ou les marchands -, est quelqu'un qui, avant tout, est de partout. Donc de nulle part à la fois. Comme le soleil qui, chaque jour que Dieu fait, se lève pour tout le monde.

Ainsi Serge, entre tous, est par exemple sans conteste du vaste pays de son tout petit atelier où, tout naturellement, deux jambons y étaient chaque année mis à sécher, suspendus pour cela sans façon à l'un des nombreux gros clous épais fichés dans les flancs de la poutre faîtière : rien d'autre que le mât d'un navire mis à la retraite qui, ainsi reconverti, était cette fois au repos, couché là-haut à plat ventre de tout son long. Le tout plut beaucoup à Delteil qui dut pourtant s'abstenir de lorgner trop longtemps par là, les yeux un long moment rivés au plafond comme au ciel vers une Sainte Vierge, car ce jour-là Serge fut gentiment catégorique : « S'il te plaît, Joseph, tu n'y touches pas ! Ces jambons-là ont besoin de repos, il ne sont vraiment pas encore au meilleur de leur forme ! »

Ayant cependant tombé la veste comme pour un duel, c'est finalement debout sur une chaise - pantalon de velours et chemise à carreaux, bretelles, le couteau ouvert à la main - que l'écrivain ami du peintre fut consolé de ce regrettable état de fait en choisissant lui-même des doigts et du nez une saucisse au poivre noir et une autre au genièvre - « Une pour chaque poche et se tenir bien droit ! » - dans chacun des deux chapelets adjacents. (Déjà, c'est lui, enfant - il le raconte dans La Delteillerie, je crois - qui tenait la queue du cochon dans sa menotte pendant qu'on le saignait sans pitié à la gorge).

Le peintre est, plus précisément et plus largement encore, d'une contrée dont aucune géographie sérieuse ne peut nous entretenir ni, encore moins, rendre compte : la petite fenêtre de toile blanche installée debout, verticale, en face de lui sur le chevalet. C'est là son poste de vigie et de pilotage. Se laissant transporter, il y traverse et remonte le cours du temps ordinaire à sa guise, vers un autre monde, le sien.

L'arche en constructionLa construction de l'arche ? Un jeu d'enfants !

Une sorte de rare médium à la sensibilité jamais récupérable parce qu'inflexiblement résistante aux sensations intellosophiques de l'époque moderne, qu'il est. Et blanche pas longtemps la toile : c'est de là que tant de choses viennent à lui en une incroyable abondance d'images intimes, intérieures, comme il en sarabande dans le regard de son Noé pourtant paisiblement accoudé (malgré ce qui l'attend) au bastingage de l'arche en train de se construire - selon des plans prévus de toute éternité - sous ses yeux d'auguste patriarche. Ses trois fils y travaillent ensemble et - qui l'eut cru en ce temps-là privé de féminisme ? - sa femme, elle aussi, comme eux quatre, est peinte, ce ne peut être qu'elle, portant déjà les brailles ! La femme est l'avenir de l'homme chante Ferrat selon Aragon qui écrit plus précisément :

L’avenir de l’homme est la femme
Elle est la couleur de son âme 
Elle est sa rumeur et son bruit
Et sans elle, il n’est qu’un blasphème.

Et, dit aussi Julos Beaucarne :

Toutes les femmes et les hommes
sont des êtres de légende
toute femme est fée et tout homme est magicien
seulement il n'y a que quelques femmes et quelques hommes
qui s'en souviennent.
  

« L'occhio del padrone ingrassa il cavallo » assure de son côté un merveilleux proverbe italien. Ainsi, « le tableau avance », vient vers le peintre qui est comme regardant alors, à ce moment-là, au travers d'un miroir sans tain ou par une lucarne secrète à laquelle, grâce aux pinceaux et aux couleurs, il rive son troisième œil et travaille au plus juste de ce qui lui apparaît à mesure et - pourquoi s'en priverait-il ? - qu'il réinvente ou remodèle sans doute encore un peu avec délice au passage.

Il est de là comme on est d'ici ou d'ailleurs, nécessairement, sauf qu'il y est seul au monde et qu'il fait avant lentement ayant tant à faire, à toute heure, par toutes les sortes de temps. La peinture est terra incognita, il va de soi. C'est un territoire un peu chaque jour découvert, mis à jour sans rien forcer, sans même l'espoir - qui serait ici insensé - de pouvoir en venir à bout, d'en parfaire toutes les mises en œuvre possibles et imaginables.

On naît du pays de ses rêves, c'est son cas.

Lui parti de l'autre côté, sur l'autre versant de la vie, un autre peintre les continuera un jour ou l'autre sans doute, d'une façon nouvelle, de nouveau inédite dans l'Histoire de la peinture. Disciple futur, inconnu au bataillon à ce jour, qui lui-même un autre jour « passera la main » à un autre...lui-même. Ils laisseront tous leur nom au bas des toiles achevées, tous autant qu'ils seront, qu'ils furent, différents de talent et de caractère, de tempérament. Et ainsi de suite infiniment, sans que beaucoup de monde, au bout du compte, ne s'avise forcément sur le coup qu'une constellation prenait ainsi forme sans tambour ni trompette dans le vaste ciel de la peinture. Il est vrai que pour cela il eût fallu complètement lever la tête de l'affreuse pâtée - plus spirituel, Rimbaud parlait lui, de « l'affreuse crème » - que l'on veut nous faire avaler coûte que coûte, (de préférence cher), ici et là, d'habitude, à grand renfort de discours et de publicité.

 

 

 

 

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