L'Indomptable Léa.

   Dans ce tableau, un monde vient se superposer à l'autre et s'y subtitue en grande partie, le purgeant d'une bonne part de sa normalité familière par l'insolite d'un théâtre d'épouvante : c'est par l'entremise d'une baraque de la fête foraine que le monde des "bêtes sauvages" — certaines représentées en partie monstrueuses — fait irruption dans la lisse et limpide tranquillité du village ; y distillant, une séance après l'autre, l'horreur ou le frisson, étalant ainsi au grand jour l'expression de phantasmes angoissants, à l'état pur.

L'abominable homme des neiges est le proche cousin des êtres peints grandeur nature sur le rideau de scène qu'il entrouvre, y encadrant sa grosse et grossière tête hirsute aux yeux exorbités par la confrontation avec ce qu'il découvre à ce moment-là à la lumière du jour : les visages au regard dévorant de ses propres spectateurs : jeux de miroirs complexes et subtils !

La fameuse Léa étant sans doute, complètement invisible sur la toile — mais qui fera bientôt elle aussi son entrée en forme de sortie de derrière le rideau— une grande oursonne ou lionne peut-être laide à faire peur elle aussi, j'imagine. Ce qui fait qu'au premier abord, le titre L'Indomptable Léa peut dérouter en paraissant désigner tout droit, aussi bien, par la faille d'un contresens interprétatif possible, cette imposante tarzane-dompteuse, fervente dominatrice à la noire fourche diabolique — autant mystérieuse qu'une femme en pied de la statuaire égytienne de la période dynastique dont elle a à la fois le port de tête altier, la chevelure et l'habituelle fière allure. Tarzane sombre, maîtresse obsédante bottée de cuir, qu'il serait impossible de soumettre à quoi que ce soit : sorte d'anima terrible, autoritaire et tyrannique, chtonienne en somme.

Derrière elle, dans son dos bien droit, en contraste frappant, tourne un joyeux manège ! autre Fiorio ! celui que nous reconnaissons facilement, le plus inoffensif en tout cas, le plus normal ! doucement à cheval sur le rêve et l'enfance !

Merci François pour la photo !

Loup féroce, petit bison ? chien sauvage, chouette, lion, qui sait ? ours tout blanc, toute une ménagerie à la limite agressive et cauchemardesque peuple la toile sur la bâche peinte de la baraque foraine. Décidément, dans ce tableau les cloisons ne sont pas étanches pour un sou entre les plans, et sur divers niveaux de compréhension ! Le peintre y exprime bien des éléments obscurs ou enfouis de la psyché, prenant sans doute sans le vouloir consciemment ceux de la sienne en exemple en les donnant en spectacle, si je puis dire, peintes réellement, sous notre nez, à notre barbe !

Je pense à Pierre Magnan qui, dans La Naine et un peu dans le même esprit comique ébouriffant, effraie tout Manosque avec une lionne invisible — dont seule la rumeur publique a ouvert la porte de la cage — qu'il fait donc, sous sa plume amusée en douce, se promener en toute liberté dans les rues d'habitude tranquilles de la vieille ville tout à coup devenue toute entière délicieusement dangereuse.

On dit qu'une souris peut suffire à effrayer une femme ; toute proportion gardée, il fallait effectivement bien au minimum une lionne évadée de sa cage pour produire le même effet sur toute une population et, belle trouvaille, par le moyen de ses diverses pérégrinations, maintenir le suspens tout au long du livre !

Grand-guignolesque que tout cela ! Psychologie de foire ! dira-t-on, mais clins-d'œil vifs jetés, n'empêche, vers les réalités impalpables de l'espace du dedans cher à Henri Michaux : passions enfouies ou secrètes caricaturées, en échantillon !

Le rire par-dessus pour noyer le poisson !

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