Chevaux de trait et labours.

   Je parlais, dans un billet précédent, de l'imposante beauté plastique de l'animal dans La Cérémonie du cheval. Cela m'a amené à me pencher sur certaines œuvres où le cheval de trait apparaît, dont une huile sur bois visiblement réalisée à partir d'une photo que, très probablement, Serge prit lui-même dans le but d'ensuite s'en inspirer.

Datée 1. 7. 39, la scène ne se passe pas en rase campagne mais aux abords d'un modeste village dont on voit les premières maisons ; sans doute s'agit-il de celui de Campsas, le plus proche de la ferme où les Fiorio habitent pendant les années de guerre.

Beauté sculpturale des chevaux de travail à laquelle Serge a toujours été hautement sensible et dont il parlait souvent avec un plaisir encore agrandi par le souvenir — s'étant rendu bien des fois à des foires sur lesquelles les propriétaires ou les maquignons prenaient volontiers, une après l'autre, les bêtes par la bride pour leur faire faire quelques pas devant le public averti des éventuels acheteurs et la foule curieuse composée, elle, de tout-le-monde et de n'importe qui. D'où La Présentation du cheval ! Temps où les foires aux bestiaux étaient encore des fêtes authentiques et véritables, faisant pendant aux fêtes religieuses, pour toutes les couches de la population campagnarde.

Mais c'est en les observant en plein travail, dans l'étroit compagnonage de l'homme donc, que l'attention du jeune peintre envers les chevaux (en dehors de ceux des manèges) était peut-être la plus forte et où, en tous cas, il raffolait de les voir évoluer. Pour preuve toute l'importante série de gouaches et d'huiles qu'il réalisa sur le thème des labours pendant sa vie paysanne à la ferme du Vallon. 

Sur cette huile, l'artiste, on le voit, ne s'éloigne guère de son modèle photographique, laissant son imagination, elle, au repos, il se contente de rester fidèle, sans transposer comme il en a depuis longtemps fait sa façon de peindre propre, correspondant à son tempérament naturel.

Cependant les ombres portées sont ici très accentuées — « à mort » pourrait-on dire — disant, certes, l'heure matinale, mais peut-être aussi la tragédie qui déjà se dessine ainsi sur le sol : nous sommes en juillet 39 et la déclaration de guerre à l'Allemagne se fera bientôt, au tout début septembre. Autant dire que l'inquiétude est là, présente sous la forme d'ombres portées de très mauvaises augure. Autre signe : c'est là, d'ailleurs — 1939-1946 — la seule période dans la peinture de Serge où les ombres soient représentées, disant bien que nous ne sommes pas dans un monde réinventé, idyllique, mais bien ici-bas.