À propos de physionomie.
Portrait d'ouvrier rivalisant d'humanité avec ceux de Van Gogh.
À côté des portraits d'ouvriers carriers de l'entreprise paternelle, tous peints ou dessinés in situ à Taninges au cours de la première moitié des années trente et qui gardent un côté très réaliste, quasi photographique même, afin de permettre à chaque modèle (à qui ils étaient le plus souvent offerts pour être emportés à la première occasion dans la famille en Italie) de s'y reconnaître en premier ; il a toujours été frappant pour moi de constater combien tous les autres divers personnages de haute époque - et nombre d'autres encore, plus tardifs - qui eux sont inventés, libres de toute ressemblance donc, ont par contre chacun une physionomie très typée, mystérieuse, comme appartenant à une même race bien singulière dont le peintre a le secret.
Le Jardinier (détail) sous les traits duquel Serge immortalise sans doute son grand-père maternel, grand jardinier de métier et de passion devant l'Éternel. Huile sur bois, 1953.
Ces étranges personnages me semblent en tout cas faire directement écho - par réminiscence inconsciente ? - à un souvenir marquant, plein d'une réalité fantasmée : « Dans la petite chambre mansardée où je couchais enfant, à Vallorbe, une lucarne au plafond donnait sur le haut d'un immense talus où passait l'Orient-Express.
La nuit venue, j'attendais simpatiemment d'y voir défiler ses wagons illuminés, emportant des voyageurs que j'imaginais d'une race particulière avec des vies hors du commun. Cette vision de magie merveilleuse me projetait dans des rêves fabuleux qui remplissaient le reste de la nuit. C'est ainsi que j'ai appris à voyager sans bouger de ma chaise. »
Au sujet de quoi, en 1992, dans Mes rencontres avec l'œuvre, Pierre Magnan renchérit : « Croyez-vous qu'il ne faille pas déjà être béni des dieux pour que la lucarne de votre mansarde d'enfant donne sur le ballast où passait l'Orient-Express ? Je suis sûr que ce train des fausses joies mais matière à de vrais rêves s'est un jour arrêté pour quelque incident technique sur ce ballast et que derrière les vitres illuminées, l'enfant Fiorio captivé a pu voir se profiler ces créatures, à jamais hypothétiques pour le commun des mortels... »
Cette physionomie est tout à fait présente et remarquable chez tous les personnages des tableaux de la période solennelle (selon la belle et juste dénomination de Gérard Allibert) : Joueurs de Morra, Accouchement de Clara ou Cérémonie du Cheval, par exemple. Mort du Camarade également, y compris.
Mais cela se poursuit encore bien au-delà, dans la période ocre des années cinquante (celle-là mise à jour et ainsi baptisée par René Duc) et jusqu'à sa fin. Le Frappeur de faux (de 1956) en est l'un des exemples.
Puis, en aval de cette période ocre qui persiste et s'étend jusqu'au seuil de l'année 1960, les visages figurant alors dans les foules des Fêtes foraines, celles des Marchés et des Manèges se font, tout d'un coup presque, beaucoup moins étranges et extraordinaires, bien plus familièrement humains en somme.
Je veux dire que ce ne sont plus des visages marqués au sceau d'un mystère latent se situant au-delà de celui - pourtant depuis toujours bien permanent et général - de n'importe qui du commun des mortels.
Mystère "premier" pourrait-on dire, que Pierre Magnan - encore lui - avait tout de suite bien repéré, parce que ressenti en ses moelles, le jour où, du haut de ses dix-sept ans et à partir de la simple photographie d'une œuvre « insolite » punaisée en vedette dans le bureau de Thyde Monnier, il rencontrait pour la première fois sa future amie écrivain, en même temps qu'il découvrait donc, grâce à elle, la peinture Fiorio.
Le portrait de mon père, de 1936, participe lui aussi de cette veine originale de visages et d'attitudes. « Presque une icône » écrit fort justement à son sujet Claude-Henri Rocquet qui lui aussi a donc bien deviné et senti à son tour...
*
Quelques liens :
Portrait d'ouvrier. 1931.
Les carriers Fiorio 1
C'est au chantier...
Chapelle du Portrait de mon père 1936.
Le frappeur de faux.
L'Âne et le Bœuf; le Cerf et la Colombe ! ou Attention chef-d'œuvre ! par Gérard Allibert.
Je viens de voir hier des peintures à s'évanouir de joie ! par Gérard Allibert.






