Sur deux trois détails de La Mort du Camarade.
Ce premier détail de La Mort du Camarade est particulièrement parlant et émouvant : à l'endroit même du sol où le mourant a posé son bras en équerre pour ainsi très volontairement se soutenir physiquement et aussi se manifester encore en vie sur cette terre - le peintre affirmant d'autre part par là, sur un autre plan, de cette façon imagée, que les convictions intérieures du mourant restent fermes et définitives et sa volonté inflexible jusqu'au bout -, bleue de lin comme une petite parcelle de ciel à fleur de terre, ou aussi bien une étoile tombée du ciel, une plante, solitaire, a choisi d'y surgir pour venir y éclore, y fleurir et s'y épanouir à la saignée du coude. Vivant symbole ! Il n'est pas innocent que l'artiste fasse se contrebalancer cet avant-bras allongé posé au sol avec, à l'équerre, la présence de la fleur posée au sommet d'une tige verticale bien droite : pur langage de peintre !
Cet avant-bras allongé à fleur de terre semble délibérement faire rempart et barrer ainsi - peint pour cela très long ? - le passage au reste du corps vers cette invite discrète à entrer sous terre figurée par les deux petites bandes parallèles de rocher, à ras du sol du premier plan. Comprenne qui pourra : la mort existe-t-elle pour un tel guerrier spirituel ? semble nous suggérer ici le peintre. La mort ne serait-elle pas son lot à ce moment crucial ? Ne s'agirait--il pas pour lui de quelque chose d'autre ? D'une expérience en grande partie ineffable, d'une mutation intérieure, par exemple ?
Autre signe de détermination évident, la chemise retroussée à mi-biceps formant de si beaux plis en torsades dit bien aussi combien le mourant a, pour lutter, proprement pris soin de retrousser les manches afin que son engagement soit des plus nets et des plus efficaces, ordonné, sans bassesse, ni bavures.
La Mort du Camarade. Huile sur bois, terminée en 1950, au presbytère de Montjustin donc.
Il y a un autre détail très important sans aucun doute : c'est celui, peint en bas à droite, de la métaphore de l'oiseau en train de glisser vers le sol - la tête et le corps tout entier positionnés à la renverse - d'entre les mains ouvertes jointes pour cela en civière de l'un des camarades. La tête du mourant qu'une main secourable de femme soutient encore et le corps lisse de cet oiseau qui semble doucement glisser, inerte, de celles du camarade témoignent d'un moment particulier, tout spécial, d'un passage subtil à vrai dire : passage d'un monde à un autre.
Cet oiseau déjà mort ou sur le point de s'envoler autrement, quittant la vie, la tête à la renverse, glissant encore chaud, encore tiède, entre ces deux mains amies, est - tout comme la fleur - une heureuse trouvaille pour renforcer le contenu et ainsi placer discrètement le sens de l'ensemble au niveau spirituel.
À l'opposé d'une froide et triste veillée mortuaire, la scène ressemble plutôt à celle, aussi grave que chaleureuse, entourant avec une attention affectueuse une naissance sur le point de se faire. En le cas, naissance à une autre vie, plus haute, ayant lieu sous nos yeux à l'interface de deux mondes par nature déjà de toute éternité limitrophes, moment où l'âme quitte sa tunique de peau, s'en libère. Retour, pour elle, au pays natal.
Plus de quarante années après la réalisation de cette peinture sur bois (qui fut terminée en 1950 à Montjustin) Serge écrivit à la va-vite, sur une feuille volante, ce qui se passa alors entre lui et les camarades résistants au moment de lui faire part de leur découverte et de cette mort-renaissance à laquelle, ensemble, ils venaient d'assister, prêtant chacun à sa façon main-forte au mourant.
La guerre venait juste de se terminer, ils sont arrivés à la maison tout imprégnés de leur aventure au maquis, et surtout la dernière.
Celle-ci non violente et sans bruit, mais à cause du silence du lieu et le mystère qui entourait, les avait marqués profondément. Et ils en ont gardé une image si forte qu'ils l'ont racontée en premier.
Peut-être à cause du mystère.
Et à mesure du récit, en moi chaque personnage dans la composition a trouvé sa place et a été terminée en même temps que le récit.
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Autre Mort du Camarade découverte à Saignon
Sculptées ou peintes, quelques autres Mort du Camarade
Une autre Mort du Camarade
Vie paysanne et Résistance
Mort du Camarade ?
Sur deux trois détails de La Mort du Camarade
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De la part d'Annick Rocquet :
Chers toutes et tous,
Le dernier volume de l’œuvre poétique de Claude-Henri Rocquet, tomes 3 et 4, Art poétique, Petite nébuleuse, L’arche d’enfance, postface de Jean-Luc Jeener, est paru aux éditions éoliennes.
À cette occasion, le Petit dictionnaire pour introduire à l’œuvre de Claude-Henri Rocquet a été mis à jour.
http://www.claudehenrirocquet.fr/PETITDICTIONNAIRE.pdf
- Le Printemps des poètes programmé au TNO consacre deux lectures à Claude-Henri Rocquet :
- Le samedi 7 mars à 16h30 : dernier volume de l’œuvre poétique complète présenté par Jean-Luc Jeener ;
- Le dimanche 22 mars à 14h30 : Petite nébuleuse avec Bernard Lefèbvre et Hélène Robin.
Et le samedi 21 mars à 16h30, Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles par Paule d’Héria et Frédérique Ligier (musique), avec la présence d’un poème de Claude-Henri Rocquet.
Très cordialement.
Annik Rocquet
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