Les carriers Fiorio 1
Que diriez-vous, cher maître, si demain l’un de vos tableaux faisait son entrée au Louvre ?
- Déjà !
Serge Fiorio
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Comme on le voit, cette équipe d'ouvriers carriers - photographiée là par Serge lui-même, c'est fort probable - est en plein chantier de rectification d'un virage dans la campagne des environs de Taninges où l'entreprise Fiorio exploite par ailleurs et principalement, comme on le sait, une carrière à ciel ouvert.
Dans le personnage deuxième à gauche assis en train d'écrire - et le seul à ne pas avoir tombé la veste ni retroussé les manches - se devine l'agent voyer : fonctionnaire alors responsable de l'entretien des voies et des chemins vicinaux ; tandis qu'on aimerait bien pouvoir prendre connaissance de ce qui est écrit sur le panneau accroché dans un arbre à l'arrière-plan de la scène. Par contre, paraît assez évident que - comme cela était techniquement indispensable à l'époque - le photographe a demandé à chacun de tenir la pose quelques secondes, le temps que le petit oiseau puisse sortir sans crainte et sans encombre du lourd appareil à soufflet.
Gardant toujours un petit carnet et un bout de crayon à disposition tout au long de ses journées de travail pour y mémoriser, au besoin ou pour le pur plaisir, la représentation de telle gestuelle, de telle ou telle des diverses positions et attitudes nécessairement adoptées tour à tour par ses compagnons ouvriers selon qu'ils se servent de la pioche, de la masse, ou manient la lourde barre à mine à talon, les croquis et dessins ainsi réalisés in situ en direct furent les exercices auxquels le jeune Serge se soumit sagement de lui-même pour faire ses gammes de dessinateur et de cette façon avancer en son art au cours de ses apprentissages totalement autodidactes, bien loin de toute influence et de tout professeur.
Il fut, il est vrai, le peintre qui à tout prix ne voulut pas le moins du monde apprendre, sinon - ô impitoyable école ! - à toute force par lui-même, par la laborieuse et courageuse mise en œuvre de ses propres d'abord modestes moyens forcément inventés au besoin, à mesure, de toutes pièces, puis perfectionnés peu à peu par la pratique, pour finalement arriver à constituer un authentique haut métier de peintre reconnu, déjà largement de son vivant, par un public international de plus en plus attentif et fidèle de cœur à son œuvre.
Ainsi, pleine à ras bord, une page de croquis dresse par exemple, sinon l'inventaire complet, du moins plus particulièrement la représentation - à l'encre cette fois - des principales différentes façons de coups de mine possibles à appliquer suivant la qualité, le volume et la forme de la pierre à travailler en fonction de sa destination : clou, couronne, bâtarde, etc, en sont quelques-unes des dénominations spécifiques dans le jargon de ce rude métier que l'artiste en devenir exerça pourtant de grand cœur, ouvrier parmi les ouvriers durant dix fructueuses et belles années de sa jeunesse.
Les ouvriers carriers au travail, huile sur bois, 1934.
C'est, je crois, François Mangin-Sintès qui m'avait fait remarquer sur l'œuvre reproduite ci-dessus la forte coïncidence par similitude qu'en la morphologie et le contenu du paysage de second plan se retrouve la silhouette générale du village haut perché de Montjustin au-dessus de la vallée de l'Encrême, ainsi qu'un rappel évident des plis répétés du Grand Luberon par les trois collines suivantes descendant, comme dans la réalité, sur Céreste : territoire que le peintre est alors pourtant encore loin de connaître, ne pouvant absolument pas savoir qu'il s'y installera avec les siens un jour de 1947 pour désormais y vivre et y peindre d'enthousiasme pendant les soixante-quatre ans restants de ses jours à venir. Force est de constater que cette étrange peinture recèle donc à l'époque pour le peintre lui-même sa part - pour moitié - de prémonition.
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Quelques liens :
Les carriers Fiorio 2.
C'est au chantier...
La chambre des ouvriers.
Un dessin de 1935.
Les Ouvriers au repos chantant.
Les carriers Fiorio 2.
Les Quatre Âges de la vie en action.
Portrait d'ouvrier. 1931.
Un dessin de 1935.
Riches heures de haute époque.
Les Quatre Âges de la vie en action.
Serge photographe — de 1936 à 1939.
Les Ouvriers au repos chantant.
Taninges. Une photo-souvenir de 1936.
Ouvriers, suite.
Photographie et peinture.
La famille ouvrière.
Rarissime photo...
L'une des toutes premières aquarelles de Serge.
Constant Rey-Millet. 1,2,3,et 4.
Thyde Monnier et le beau terrassier italien.
Serge photographe — de 1936 à 1939.