Canalblog Tous les blogs Top blogs Mode, Art & Design Tous les blogs Mode, Art & Design
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Serge Fiorio - 1911-2011.
Publicité
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Serge Fiorio - 1911-2011.
Newsletter
44 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 376 889
Publicité
3 juin 2016

Une autre Mort du Camarade.

   Celles et ceux qui connaissent - certains, je sais, « par cœur » - la version définitive peinte sur bois, en grand format, du Fiorio intitulé La Mort du Camarade vont être, comme de même je l'ai été, bien étonnés en en découvrant cette première ébauche à la gouache - il est vrai, assez surprenante !

Surprenante parce que quasi totalement dénuée de la gravité et de l'hiératisme rigoureux qui, en parfait accord avec la composition, font que la version définitive exprime en les servant les hautes exigences du sujet : la mort au cœur de la clairière dans le petit matin, entouré de ses frères d'armes, d'un jeune et courageux héros de la Résistance. Il n'en est rien dans cette première version qui apparaît comme un jeu d'enfants au cours duquel l'un d'entre eux jouerait peut-être à faire le mort où alors, à la rigueur, tout au plus, comme le secours porté par ceux-ci à l'un des leurs ayant subitement perdu connaissance, après une chute accidentelle, par exemple.

Tandis que dans la version définitive le peintre, à l'opposé, va jusqu'à finalement hisser la scène au niveau spirituel de celui d'une Mise au tombeau ou d'une Descente de Croix* par lequel il touche là, semble-t-il, au plus haut degré d'expression de son art.

Première version de La Mort du Camarade

la mort du camarade 800Les différences entre les deux œuvres sont nombreuses et très éclairantes sur la prise de conscience par Serge, en cours de route, de ce qu'il allait peindre finalement, sur son cheminement intérieur tandis qu'à mesure donc, le temps passant, il avançait dans le mûrissement de son travail; mesurant de mieux en mieux sans doute, chemin faisant, toute l'ampleur de contenu, une fois faite la mise en place inspirée directement du récit oral de l'événement qu'il reçut des camarades résistants. 

Différences notables, à commencer par le fait qu'initialement représentés à la gouache sous la physionomie de véritables adolescents pour la plupart, les personnages sont encore jeunes, certes, mais alors pleinement adultes dans l'œuvre peinte à l'huile un peu plus tard : eux aussi ont mûri en chemin sous le pinceau de l'artiste au travail.

Visiblement, ce n'est que dans la seconde interprétation que le mourant porte une chemise blanche, d'un blanc si propre, si pur et si rare, qu'elle le différencie et le désigne tout de suite directement comme étant l'acteur principal, le premier rôle, le héros. Cela, dès le premier regard.

Dans la gouache, ce n'est pas encore, autre différence, la femme qui soutient ici de sa main complètement ouverte la tête du héros mais bien un compagnon, un ami secourable. Par ailleurs, je ne connais pas de forêt de Serge où les troncs des arbres soient aussi serpentants ou danseurs du tronc : peut-être peints ainsi pour obtenir un contraste (trop ?) volontaire avec un certain immobilisme apparent dans les diverses positions des divers personnages à qui cet ensemble végétal en complet mouvement sert de rideau de scène.

Chronologiquement, c'est donc d'abord le jeune faon placide qui est blanc, l'esprit de Serge en faisant peut-être là, vu le sujet, plus qu'un ornement : dissimulato, un autre agneau pascal, en s'exprimant tout à fait librement dans et par son langage inspiré de peintre. Allant dans le même sens, mais simple hypothèse issue du questionnement bien normal sur la présence de ce tout jeune animal sauvage parmi les humains, il ne serait pas étonnant qu'encore imprégné de ses lectures de Que ma joie demeure, Serge devinant - ou au besoin inventant, même - des similitudes, ait ainsi créé une relation croisée - d'apparence paradoxale - entre la vie renouvelée sur le plateau Grémone et la lutte de la Résistance; plus précisément encore entre Bobi et le Camarade mort, ou sur le point de l'être, pour son idéal. Peut-être cela est-il, comme l'on dit, passablement tiré par les cheveux; je ne sais, mais il me fallait quand même en noter l'idée au passage puisqu'elle m'est venue spontanément à l'esprit sans que j'y pense.

Pas d'oiseau mort glissant, tête en arrière, entre les mains en civière du dernier camarade sur la droite. Pas de lourd et opaque sac tyrolien, non plus, sur la gauche. Pas de fleur bleu-ciel éclose au coude posé en terre du mourant. Pas d'ouverture en arche donnant, en fond de scène, au-delà, sur le paysage peint en fuyante perspective lumineuse. Pas de petits rochers parallèles au sol, comme entrouvrant discrètement la terre devant le mourant. Pas de date non plus, pas plus que de signature : dans l'esprit du peintre, cette gouache est bien un exercice seulement.

Je crois que nous pourrions continuer encore longtemps à dresser la liste de telles remarques particulières ou générales, elles sont toutes édifiantes, à divers niveaux, et nous familiarisent en direct avec la quête de sens d'une œuvre majeure, sa genèse. Et le tout nous renseigne assez sur comment agit aussi sur un artiste sincèrement au travail, le génie de la peinture.

Il est à remarquer que dans chacune des deux œuvres jamais n'apparaît quoi que ce soit en rapport avec la guerre. Le peintre s'attachant à en peindre un certain au-delà, vers quoi, réellement, tout concourt.

 

* Il faudra aussi un jour considérer le cousinage qu'il y a entre La Mort du Camarade et la Piéta de Villeneuve-les-Avignon - XVème, œuvre magistrale d'Enguerrand Quarton - qui se trouve être aujourd'hui au musée du Louvre.

Pieta d'Enguerrand

  *

Publicité
Commentaires
Publicité