La peinture est une aventure.

8 juin 2014

Devant une peinture, il y a ce que l'on voit, ce qui nous saute aux yeux, nous saisit, nous interpelle, ce que l'on ressent — parfois jusque dans les moelles — ce que l'on découvre ensuite, quelques instants plus tard ; aussi tout ce qui nous échappe et que nous ne verrons pas. Ou alors peut-être une autre fois à un autre moment, à une autre heure — « Chaque chose vient à son heure », dit-on — en y posant un nouveau, un autre regard, car celui-ci change la peinture comme le paysage varie et se transfigure selon la lumière, son intensité, sa qualité, son heure ! Ce peut être n'importe quand cependant : le lendemain en pleine nuit au beau mitan d'un rêve ! comme dix ans plus tard au cœur d'une conversation passionnée, ou bien encore entre la poire et le fromage.

À deux jours de s'éteindre, Serge lui-même pensait soudain à Cimabue, à ses ors et à ses personnages sans plus l'ombre d'une ombre sous le zénithal soleil intérieur !

Bien que finie, immuable, la peinture reste en étroit rapport avec le temps intérieur de ses spectateurs. Spectateurs ! le mot n'est pas le bon, beaucoup trop faible ; nous sommes entièrement partie prenante dans l'œuvre, comme le scientifique est partie prenante dans l'expérience qu'il réalise ou dans l'hypothèse de ses recherches.

Ce n'est que par chacun des regards extérieurs à celui du peintre, leur somme aussi, que l'œuvre continue de vivre parce qu'elle y est extrêmement sensible, on s'en doute ; comme elle l'est également à leur bons sens, à leur questionnement, comme à leurs intuitions irrationnelles, leurs divagations, leurs rêves. Et elle répond, elle dialogue même, dans la langue exacte de celui ou de celle qui est devant elle, les yeux de préférence par forcément en face des trous. Là est sa justification véritable, sa raison d'être à elle, en dehors des motivations personnelles de créativité du peintre, son auteur. Authentifiée de la sorte, elle gagne en énergie rayonnante, démultiplie ses forces et prospère.

L'œuvre d'art n'est pas faite pour elle-même, ni exclusivement pour ceux qui l'ont acquise d'une façon ou d'une autre. Par contre, elle vient de loin, cheminant depuis longtemps sur notre propre chemin, à notre rencontre, pour tous nous reconnaître en son sein, un à un, nous faire siens.

Et non le contraire !