Montjustin, entre le marteau et l'enclume ? Tribune libre
Montjustin, entre le marteau et l’enclume ?
Tribune libre
Voulant par là faire accroire, toujours une fois de plus, à l’un de ces « villages d’artistes » par lesquels, en détenant sans doute le secret, le Luberon se singulariserait, certains hommes d’affaire (sinon, comment les nommer ?) s’appliquent à y transformer peu à peu tel ou tel village en produit de consommation culturo-touristique plus ou moins haut de gamme et puis s’affairent à en diffuser le mode d’emploi idoine auprès du plus grand nombre possible de cerveaux désœuvrés.
Ainsi, une fois enrôlés et expertement enrobés d'une couche de poudre de perlimpinpin lustrée à point, à souhait, Gordes, Bonnieux, Lacoste, Ménerbes, Roussillon, ne sont-ils pas de cette façon déjà devenus, directement aux dépens des qualités intrinsèques à leur véritable identité, des destinations de rêves au même titre, et bientôt au même tarif, que Venise, Vérone ou Deauville ?
« Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende » n’est-ce pas, c'est plus rentable ! Cela au grand bonheur, donc, d’un business pur et dur exercé via des palaces assortis de toutes sortes d’infrastructures secondaires, d’agences concomitantes, de boutiques prétendument authentiques, de nombreux autres petits commerces aussi, indépendants ou franchisés, d'entreprises sous-traitantes, galeries et tutti quanti installés là pour, de leur propre aveu, y vendre « des parts de paradis terrestre à consommer sur place », point barre.
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Alors, mèfi ! Pourquoi ne viendrait-il pas un de ces quatre matins à l’esprit de cette même maudite engeance affairiste l’idée de bientôt inclure un Montjustin de son cru sur sa fameuse liste provençale puisque, autrement plus attractif que le mythique passage d’Hannibal (resté en rade sur le blason), rien que le seul nom – même pas en grosses lettres, pas la peine ! – de feu Henri Cartier-Bresson peut sans façon y être fort avantageusement placé et utilisé en puissante et donc d’autant plus efficace locomotive médiatique ?
Ainsi pris à la gorge comme dans le pire de ses mauvais rêves, je l’imagine en train de se débattre de toutes ses forces dans son linceul, violemment, tant qu’il peut, et je l'entends d'ici vitupérer de même contre un pareil programme d’exploitation de son renom d'artiste photographe.
Disons-le tout de suite pour en dissiper, si possible, la renommée implicite – bien que Prévert, Doisneau et Vidalie, par exemple, y aient chacun plus ou moins longuement séjourné, cela ne suffit pas –, Saint-Montjustin-des-Près n’a jamais eut lieu, jamais existé.
Quant aux nombreux autres montjustiniens célèbres, un peu, ou pas du tout, certains bien sûr indigènes, qui ont habité et eu à voir, de près ou de loin, avec – baptisé ainsi selon mon cœur au bout de quarante années de fréquentation personnelle assidue, à partir de 71 – le Montjustin de la belle époque, je veux dire celui qui, après les deux guerres, s’étend sur 66 ans, siouplaît ! – c’est-à-dire depuis l’arrivée de Lucien Jacques en 45, jusqu’au décès de Serge en 2011 –, ceux-là sont à ce jour, à quelques exceptions près quand même, tous morts et enterrés ; se tournant et se retournant sans aucun doute eux aussi, chacun et chacune, dans leur tombe car, mise à part son immuable exceptionnelle implantation géographique à cheval sur deux vallées fort dissemblables, Montjustin est désormais devenu, en attendant mieux – en tout cas je l'espère ! –, un village tout à fait ordinaire, au goût du jour en somme.
Ainsi arrive-t-il parfois – grands dieux, qui donc l’eût cru, imaginé ? – que l’on s’y croise sans même plus prendre la peine de sacrifier au rituel plaisir pour le moins convivial de se saluer. Ce qui ici confine à l’injure.
C’est pourquoi, pour toutes ces raisons à la fois, mélangées, je n’y monte plus guère et plus jamais, non plus, très volontiers ; d’autant qu’alors mon cœur d’abord se serre et puis finit même, dès en bas, par se mettre à saigner au moment où je quitte la Nationale pour commencer à ascensionner.
De plus, une fois sur place, tout mon être y souffre tout de suite d’un manque patent, celui d’une certaine qualité de silence peuplé. Cependant que des escadrilles d’images et d’ambiances ne tardent pourtant pas à surgir de toute part à mesure que j'avance, s’en donnant à cœur joie pour me martyriser : les uns et les autres, leurs regards, leurs voix, les ateliers (pas que d’artistes !), les greniers mystérieux et les bergeries à hirondelles, les superbes caves voûtées, les jardins floraux et potagers en gloire, les chants, les chantiers de toutes sortes, l’amicale pétanque dominicale, promenades et vendanges, olivades, première neige, bagna cauda, fiestas et autres chaleureuses réjouissances, m’y sont alors, je le répète, de riches et vivantes kyrielles d'images qui, soudain se changent en autant d’innombrables traîtresses flèches acérées.
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Et puisque nous y sommes, autant aller jusqu'au bout du bout : qu’est donc lui aussi devenu ce potentat tellement subtil et particulier, jadis chaque jour et partout sensiblement prégnant, quoique invisible, mais manifeste jusque dans l’air respiré, et que je me suis toujours plu à associer au genius loci, l’esprit des lieux lui-même ?
Présence sacrément bienfaisante, tutélaire, qu’hélas je ne ressens plus nulle part intra muros, mais réfugiée devinez où ? Dans l’enclos à ciel ouvert du double petit cimetière-jardin situé à l'ouest en pleine cambrousse !
Cimetière des éléphants, mais au sens métaphorique de l’expression, je le regrette...
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