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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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20 juillet 2021

Un personnage de Haute-Provence.

   Jusqu'aux années 70 par là, la vie dans mon Banon natal a été à mes yeux d'enfant, puis d'adolescent, un véritable théâtre vivant, un théâtre au village. Combien en ai-je encore connu, nombreux, de ces personnages plus ou moins hors-norme, utopiques, extravagants, à commencer bien sûr par ceux, hommes ou femmes, qui composaient ma propre famille ?

Le Philibert Moutte, par exemple, mon grand-père maternel. Physiquement du moins, on aurait pu sans problème le prendre pour le Gaston Dominici de la Grand-Terre à Lurs : même forte carrure, râblé, même moustache, même pantalon de gros velours côtelé, même chapeau de feutre l’hiver, de paille l’été, et les mêmes solides godasses aux lacets de cuir. Jusqu'au regard bleu intense.
Incarnant l'une des figures du patriarche haut provençal, il était natif du Contadour ; quant à son épouse, ma grand-mère Adeline Bonnefoy, elle partait, comme on dit ici, des Omergues. Ils s'étaient rencontrés en crête, au Pas de Redortiers exactement, peut-être bien un soir au clair de lune ! C'est que, sauf exception pour de rares raisons, on ne  s’escarailhait encore pas bien loin à l'époque, idem pour fréquenter. Aimée Castain, la bergère et peintre du Gubian, à Revest-des-Brousses, m'assurait que pour sa part elle n'était jamais sortie du canton, sauf une fois pour une visite à un parent, des Omergues justement ; ajoutant qu'elle se perdait à tous les coups tout de suite dans un simple appartement.

De par sa famille enracinée là depuis des siècles, notre Philibert était un confortable propriétaire terrien. La moitié des Frâches du Contadour lui appartenait, le Jas des Agneaux aussi, et tant d'autres parcelles, par-ci par-là, plus modestes. Il avait un gros troupeau assorti d’un solide berger et toutes sortes de revenus annexes non négligeables pour mener à bien sa barque, là-haut, à ras du ciel : Tuber melanosporum à gogo, essence de lavande fine, cèpes secs par sacs entiers, miel par quintaux...

Tout de suite après leur mariage, il fit - à la queue leu leu ! - trois filles et deux garçons à la Déline comme on l'appelait. Tout allait bien, prospérait, jusqu'à ce que le démon du jeu et celui de midi s’en mêlent, se payent sa tête. Il se mit à jouer, c'est-à-dire à jouer de l'argent. D'abord au café, alors encore assez raisonnablement, comme quelques autres. Puis tout à coup à boudre : phé-no-mé-na-le-ment ! C'était comme si un feu dévorant s'était subitement emparé de lui, le poussant, irrésistible, à miser toujours et encore de bien plus fortes sommes, et puis de là des terres, des bêtes, des bâtiments...vendant par là son âme au diable à la venvole en quelque sorte !
Du coup - car perdant peu à peu plus qu'il ne récupérait -, ne pouvant plus, dès lors, s'offrir le service de journaliers, il réquisitionna ses enfants pour continuer à planter et couper des lavandes en ses terres arides où, seules rentables, elles y poussent volontiers et y prospèrent car se trouvant là dans leur milieu naturel, idéal.
Aussi, c’est armés chacun et chacune d'une solide cavilho en bois à bout ferré, que le Mémé, le Lili, la Berthe, l'Odette et la Valentine, passaient désormais ainsi toutes leurs journées de vacances à trimer, pliés en deux à repiquer, ou, saquette blanche sur le dos, à manier lou tranchet. Adieu brevet, certificat d’études !

Odette, ma maman, était visiblement encore et pour toujours toute scandalisée quand elle me raconta, des décennies plus tard : « Nous avions encore un sacré mal aux esquines ainsi qu’au creux des mains les douloureuses ampoules provoquées par nos récents efforts pour enfoncer profondément la cheville entre les caillasses quand nous avons appris, par je ne sais plus qui, que la terre ainsi toute plantée de frais par nous cinq ne nous appartenait déjà plus, envolée puis aussitôt retombée toute rôtie dans le bec grand ouvert d'un voisin ! »
Et la situation ne fit qu'empirer, d'autant plus que le Philibert entretenait une dispendieuse maîtresse et qu'il descendait aussi de plus en plus souvent jusqu'à Marseille pour - ce n’était un secret pour personne - y assouvir alors tout son soûl ses deux vices majeurs.

Après quoi, complètement ruiné, il fut contraint de baisser pavillon, se repliant sur Banon pour y ouvrir une modeste épicerie afin de nourrir sa famille nombreuse. Et puis l'héroïque Déline mourut, encore jeune. Peut-être bien d'un trop-plein de chagrin, découragée.

Lui, je l'ai connu âgé déjà, retiré chez le plus jeune de ses deux fils, celui qu’on y disait le Barlot car il était aussi fort que ce fameux lutteur de foire connu dans toute la région. Philibert menait alors, tous feux éteints, plan-planet, un grand champ de fraisiers de la meilleure variété au quartier dit du Grangeon blanc, sur la route de Forcalquier, où parfois, cousins et cousines, allions l’aider pour des cueillettes urgentes.

L'apercevant de loin en revenir tranquillement à pied, mains dans le dos - ça c'est quand on a marié toutes ses filles, paraît-il ! - je courrais aussitôt à sa rencontre, lui sautant au cou pour lui faire péter la bise.
Après quoi, de derrière son dos, sa main me découvrait et me tendait un odorant panier de fraises bien mûres partagé illico presto entre copains et copines assis côte à côte sur la margelle de la fontaine voisine, faisant circuler le panier entre nous.

ricou_montagne_de_lurePhoto Pierre Ricou

Je crois ferme que Giono - tout particulièrement dans le registre de ses savoureux autant qu’extravagants récits de Cœurs, passions et caractères - n'a rien inventé de la Haute-Provence qui, plutôt, s’est tout naturellement et merveilleusement infusée en sa psyché dès le jour de sa naissance à Manosque où, par avance, l'originalité de son talent a commencé à s'en trouver subtilement toute parfumée.
Après quoi, en âge d’écrire, il a donc pu la traduire, aussitôt exprimée de bien magistrales manières grâce à l'extraordinaire musique du style qui lui est à la fois baguette magique et marque de fabrique, comme il sied, bien sûr, à tout grand écrivain bien né.

Avec le plus souvent - ne plaignant pas, jamais, sa générosité -, l’humour ou la malice en prime, et même parfois les deux pour la bonne mesure !

 *

Dans le miroir des jours vient de paraître !

Le premier Giono a bien plus qu'un accent, et alors ?

Giono au Contadour : Le pain d'étoiles enfin réédité.

Le pain d'étoiles par Alfred Campozet.

Le musée de Forcalquier expose Serge Fiorio

*

Jung

 

 

 

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Commentaires
J
Oui, ce Philibert a l'exacte démesure des personnages gioniens (j'ai pensé tout de suite à "Ennemonde")! Bravo André pour cette belle évocation. Voilà une veine qu'il te faudrait développer, car je suis sûr que tu dois avoir dans ton escarcelle de souvenirs une jolie collection de caractères de cet acabit.
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S
Cher DD, en ce qui me concerne, à n'en pas douter, tu y vas un-petit-peu-beaucoup-trop fort !<br /> <br /> Je ne suis qu'un scribe, rien ni personne d'autre !<br /> <br /> Amitié,<br /> <br /> dd
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A
Admiration ! Admiration !<br /> <br /> Je les mets tous dans le même sac : Serge Fiorio, Jean Giono, André Lombard, et tous et toutes les leurs...
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