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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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1 décembre 2019

De quelques moments de poésie et d'amitié partagés avec Serge Bec par Jean-Luc Pouliquen.

 Voici, avec l'aimable autorisation de leur auteur, quelques pages initialement parues en 2011 dans le numéro deux de la Revue des langues romanes.
"Ex aequo" avec la Comtesse de Lombardon-Montezan, de Vachères, Serge Bec, le poète ami et voisin de Serge dont il est, entre autres, question ici, fut l'une des deux premières personnes du pays à venir à Montjustin acheter un Fiorio. 

À cette occasion, une amitié et une admiration mutuelle naquirent et jamais par la suite ne se démentirent. En 1972, Serge Bec écrira même un court mais fort texte de présentation pour l'exposition Fiorio de la Chapelle du Grand Couvent à Cavaillon où Serge exposait ses huiles aux côtés des étranges dessins à l'encre de Chine du berger de la tribu Fiorio, Robert Duc.

NB : Jean-Luc Pouliquen anime un blog entièrement consacré à la poésie, à sa critique, à sa promotion comme à sa diffusion : L'oiseau de feu du Garlaban.

  

De quelques moments de poésie et d’amitié partagés avec Serge Bec

  Le fil qui me permet aujourd’hui de suivre les années d’amitié et de compagnonnage poétique partagées avec Serge Bec est enfermé dans les lettres que j’ai reçues de lui. Celles-ci sont nombreuses et ce n’est pas sans émotion que je les ai relues.

Avant de m’intéresser à leur contenu, je voudrais commencer par leur matérialité qui est tout autant parlante. Il y a d’abord ce papier beige à en-tête marron du journal bimestriel Le Pays d’Apt. Il y a ce papier blanc à en-tête de couleur verte du Parc Naturel Régional du Luberon, complété parfois de cartes du même organisme. Il y a encore  ces feuilles un peu jaunies où l’on peut lire en caractères bleus : Moulin des Ramades, Gaston Bec, Caseneuve par Apt (Vaucluse). 

Ces éléments campent le décor de l’activité de Serge Bec et nous ramènent en même temps au cœur de son inspiration et de sa création poétique, à savoir Apt et le Luberon. C’est près de la minoterie familiale, dirigée par sa grand-mère, puis par son père et enfin son oncle Gaston, qu’il a passé son enfance, c’est au Parc Naturel Régional du Luberon qu’il a travaillé de 1979 jusqu’au moment de prendre sa retraite, en 1993, c’est au Pays d’Apt qu’il continue son activité de journaliste. Mais ces différentes facettes de sa biographie ne peuvent être séparées, cloisonnées. Elles forment un tout et participent d’un même engagement dans la vie d’un pays, dans ce que nous pouvons appeler : La Provence de Serge Bec, comme on a pu parler auparavant de La Provence de Mistral ou de La Provence de Giono. C’est depuis cette Provence que notre échange a pu s’établir.

C’est par Jòrgi Reboul que je suis entré en contact avec Serge, au moment où j’ai commencé à publier aux Cahiers de Garlaban des poètes de langue d’Oc. Mesclas, à la fois dernier recueil publié du vivant de Jòrgi Reboul et premier titre occitan de notre collection, a paru début 1989. C’était donc il y a vingt ans.

Le jeu des souscriptions et des envois de recueil par l’éditeur a fait que j’ai été ainsi amené à recevoir un courrier de Serge Bec puis à lui écrire. Éditer Jòrgi Reboul n’était pas un acte neutre, c’était au contraire un engagement au service d’une certaine conception de la langue, de la poésie et d’un rapport au pays. Cela ne pouvait qu’alimenter le contenu de nos premiers courriers.

Dans une de mes premières lettres, j’avais dit à Serge ce qui me rapprochait de Jòrgi Reboul et voici ce qu’il me répondait : « Vous me parlez des efforts de Jòrgi Reboul pour rompre les orthodoxies ! Mon pauvre, elles ont la vie dure les orthodoxies ! J’en sais quelque chose, moi qui ai été rejeté à 20 ans du Félibrige (j’en ai 55) pour avoir osé faire entrer (avec trente ans de retard !) le surréalisme (indécent !) en poésie provençale ! J’ai été  récupéré   à cette époque par Robert Lafont et l’IEO et j’ai écrit une dizaine de recueils en graphie occitane. J’ai dû refuser le Prix Aubanel (sous les pressions de mes amis occitanistes) à l’âge de 22 ou 23 ans pour des problèmes de graphie.

P 1 Serge Bec - 2 001

Quand pour essayer à ma façon, d’ouvrir le sillon  comme vous dites, j’ai écrit Sieú un païs dans les deux graphies, j’ai été soumis à un tir croisé d’un côté comme de l’autre (heureusement, quelques-uns n’ont pas hurlé avec les loups et m’ont encouragé). Car le sectarisme existe dans les 2 camps. Et la qualité de l’œuvre devient secondaire pour les tenants de cet art de vivre ! Ne pas être un traître ! Trahir qui ? quoi ? L’essentiel n’est-il pas de ne pas trahir la langue et l’œuvre qu’elle porte, qu’elle véhicule !  » 

Nous partions sur de bonnes bases, c’était tout à fait dans cette ligne que je voulais développer la collection. Pour moi la poésie était première et je respectais le choix de graphie de chacun des poètes que j’accueillais. Tous ceux qui j’ai publiés, que ce soit Jòrgi Reboul, André Resplandin, Charles Galtier, Fernand Moutet, Yves Rouquette, Robert Allan et bien sûr Serge, se sont inscrits dans cette perspective et s’y sont trouvés bien. 

Et puisque je partageais les mêmes vues que Serge sur cette question, que j’admirais la façon dont il avait jusque-là défendu ses positions, été fidèle à ce qu’il avait ressenti au fond de lui-même - qui est le gage d’un authentique parcours poétique - j’avais envie de poursuivre la relation avec lui. Alors les liens n’ont cessé de se resserrer et les  initiatives de se multiplier.

J’ai retrouvé dans les lettres de Serge, de multiples traces d’un partage de vie de poète que j’avais oubliées. Je vais les évoquer avant d’en venir à ces moments plus importants qui se détachent de ces vingt ans d’amitié : l’obtention du Prix Antigone pour Sesoun de Guerro et la publication de Entre Gascogne et Provence, entretiens réalisés avec Serge Bec et Bernard Manciet.

Il y a tout d’abord dans les lettres de Serge une écoute à l’activité des Cahiers de Garlaban. Il suit les publications, il souscrit pour les recevoir, il les commente, il entre parfois en contact avec des poètes qu’il découvre à cette occasion ou qu’il connaissait déjà sans avoir eu l’opportunité de leur écrire ou de leur parler. Ce fut le cas pour André Resplandin par exemple, pour Daniel Biga ou encore Lucienne Desnoues avec qui nous eûmes au printemps 1994 la possibilité de déjeuner dans un restaurant de Céreste, village si cher à René Char. René Char auquel Serge a toujours manifesté une grande fidélité. Lucienne Desnoues était accompagnée ce jour-là de Serge Fiorio, ami aussi de longue date de Serge, présent dans son livre Siéu un païs, et qui avait aussi réalisé l’illustration du recueil de Lucienne Desnoues que j’avais édité : Fantaisies autour du trèfle.

P 3LD 001

Serge aida aussi d’autres poètes à venir aux Cahiers et je pense ici tout particulièrement à Robert Allan qui se retrouva dans une problématique semblable à la sienne en ce qui concerne la graphie.

Voici ce que disait Serge à notre propos en réponse à un questionnaire que lui avait adressé une étudiante de l’Université de Madrid travaillant sur nos publications : « Je suis assez sensible au projet éditorial des Cahiers : d’une part, donner la parole à de simples auteurs locaux pleins d’humanité comme Casimir Mouttet (et surtout ne pas avoir peur de la leur donner !) ; d’autre part, éditer parallèlement de bons poètes français ou francophones (disparus récemment ou toujours vivants) comme Michel Manoll, Edmond Humeau, Daniel Biga, Lucienne Desnoues, et de bons poètes de langue d’oc sans distinction de graphie comme Jòrgi Reboul, Charles Galtier, André Resplandin bientôt Robert Allan. Et surtout, je relève une belle fidélité à ces auteurs, qualité de plus en plus rare de nos jours. »

Dans les faits, la fidélité a fonctionné dans les deux sens. Dans le prolongement des publications ont été organisées des rencontres auxquelles Serge a souvent participé. On peut les séparer en deux catégories : les rencontres entre poètes, à usage interne, pour le plaisir de se retrouver et de parler de poésie et puis les rencontres avec le public pour faire entendre une parole poétique dans une société qui ne lui accorde pas une grande place.

Deux réunions de poètes me reviennent en mémoire. Les Cahiers de Garlaban sont allés boire à deux sources à leurs débuts. La première était occitane, je viens d’en parler. La deuxième se rattachait à l’ouest de la France et plus précisément à ce mouvement poétique créé en 1941 que l’on a appelé L’École de_Rochefort. Pendant de nombreuses années, j’ai fréquenté son fondateur, Jean Bouhier, qui s’était retiré dans le Var, à Six-Fours-les-plages. Il était important pour moi de le mettre en relation avec des poètes de langue d’oc, comme il m’était important que les poètes de langue d’oc échangent avec ces poètes de l’Ouest car, je le pensais, ils avaient beaucoup de points communs. Une même exigence quant à l’Homme traversait leurs poèmes en même temps qu’un certain lyrisme. Et cet échange a véritablement eu lieu. André Resplandin par exemple, Varois comme Jean Bouhier, a longuement fréquenté ce dernier et a même traduit en provençal son recueil Pour l’amour de Colette. Concernant Serge, c’est par Jean Rousselot que la rencontre s’est faite.

Chaque fois que j’allais voir Jean Bouhier, il me parlait de son ami Rousselot, qui vivait à côté de Paris à L’Étang-la-ville et qui avait été à deux reprises président de la Société des Gens de Lettres. Jean Rousselot avait été l’ami de Max Jacob et de Pierre Reverdy, il restera une grande figure de la poésie française du XXe siècle. 

Après avoir séjourné à Nice à la belle saison plusieurs années, il décida de venir passer ses étés dans le Luberon. C’était au début des années quatre-vingt-dix et c’est à cette occasion qu’un beau jour de juillet 1991, nous nous retrouvâmes chez Jean Rousselot avec Serge et Jean Bouhier pour un déjeuner qui scella l’amitié entre les poètes du sud et les poètes de l’École de Rochefort. Si le choix de la graphie ne devait pas diviser les poètes, il en était de même pour moi de la langue. La poésie est une.

La deuxième rencontre à laquelle je pense, eut lieu cette même année 1991, fin décembre, à Eygalières. Elle nous réunit cette fois avec Serge, autour de Charles Galtier, Edmond Humeau, Serge Brindeau et Jean Pietri. Jean Pietri qui animait à Avignon, une maison de la poésie – qu’il faut distinguer du Centre européen de la poésie d’Avignon animé par Marie Jouannic dont Serge fut le président – recevait chez lui pour les fêtes Edmond Humeau et Serge Brindeau. Ce fut pour nous une bonne occasion de nous revoir autour de Charles Galtier qui avait comme Edmond Humeau participé à l’aventure de la revue de Jarnac en Charente, La Tour de Feu. Signalons au passage que Bernard Manciet fit aussi au début des années soixante le voyage pour Jarnac où il rencontra là Edmond Humeau.

Edmond Humeau est un poète baroque qui dès les années cinquante installa sa résidence d’été au Castellet d’Oraison, près de Manosque. Il travailla longtemps au Conseil Économique et Social où il fut l’attaché de presse de Léon Jouhaux, grande figure du syndicalisme et Prix Nobel de la Paix en 1951. Quant à Serge Brindeau, il signa en 1964 avec Jean Breton Poésie pour vivre, le manifeste de l'homme ordinaire, un livre qui fait date dans l’histoire de la poésie et qui contribua avant mai 68 à déboulonner les vieilles statues, à faire tomber les mandarins de leur piédestal, à rapprocher la poésie des préoccupations de son temps. Il travaillera dans cet esprit au comité de rédaction de la revue Poésie I. Serge Brindeau est aussi l’auteur de La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945, une anthologie critique d'un millier de pages qui reste une référence. Tous les deux, Edmond Humeau et Serge Brindeau, s’inscrivent aussi dans la mouvance de l’École de Rochefort. 

Inutile de présenter Charles Galtier, le conteur, le romancier, le dramaturge, l’ethnographe, le poète provençal d’Eygalières dont la fidélité à Frédéric Mistral a toujours été vécue le geste large et la main ouverte. Une réunion en sa compagnie et celle des personnes que je viens d’évoquer ne pouvait que laisser des traces fortes et lumineuses dans la mémoire.

Concernant la deuxième catégorie de rencontres, celles tournées vers le public, organisées à l’initiative des Cahiers de Garlaban ou de moi-même, auxquelles Serge a participé, voici quelques exemples.

Les Cahiers de Garlaban sont nés à Aubagne au pied de ce fameux massif chanté par Marcel Pagnol dans La gloire de mon père, dont nous avons emprunté le nom. Sur un des versants du Garlaban est installé le hameau de Lascours, dépendant de la commune de Roquevaire, où nous avions pris l’habitude d’animer des soirées de poésie. Serge fut l’invité en mai 1994 de l’une d’entre elles et mêla un soir sa voix de grand poète occitan à celle des premiers membres de notre groupe et de quelques autres qui nous avaient rejoints. Étaient ainsi présents pour les plus anciens, Pierre Asca, le berger des arbres, le chanteur Jean-Jacques Boitard, interprète des chansons de Victor Gelu ou encore Éric Tremellat. Parmi les nouveaux, on remarquait Gérard Pons le graveur-poète du Castellet, la conteuse provençale Magali Fillol, André Resplandin ou encore la bibliothécaire-poète Marie-Christiane Raygot.

1 Lire à son sujet Le fabuleux destin d'écrivain de Charles Galtier, l'hommage que lui rend Serge Bec dans le numéro 22 de la revue Autre sud (septembre 2003), pp 155-158.

C’est elle, attentive à nos efforts, qui avait organisé deux années auparavant une rencontre à la bibliothèque municipale d’Aubagne autour de Serge. L’événement fut couvert par La Marseillaise qui l’annonça ainsi : « Serge Bec : l’occitan dans la modernité. Ce poète provençal a évité, avec quelques autres, à la langue un enfermement mortel. La rencontre avec le public de la bibliothèque s’annonce savoureuse ». 

Elle le fut en effet ce 21 mars 1992, comme le fut un peu plus de trois ans plus tard, ce week-end de poésie intitulé À la rencontre des poètes que j’avais pu initier et organiser dans une autre bibliothèque municipale, au Pradet cette fois. Serge y retrouva notamment Jean Bouhier, André Resplandin et quelques autres poètes vivant dans le Var comme Marcel Migozzi qu’il avait connu quand il participait à la revue Action Poétique. Il y rencontra aussi Rolland Tardy de Var-matin avec qui il avait travaillé du temps où lui aussi avait été journaliste dans l’aire toulonnaise. Ce dernier réalisa pour l’occasion un petit entretien avec le poète dans son journal.

Mais de toutes ces initiatives en direction du public, celle qui occupe pour moi une place à part, a été l’enregistrement de l’émission de télévision Vaqui du 25 avril 1990. Je connaissais déjà Miquela Bramerie. En 1987, elle était venue filmer à Carqueiranne, Casimir Mouttet le poète-paysan du Canebas. Par la conteuse Magali Fillol, je gardais le contact avec elle et elle accepta l’idée de consacrer un numéro entier à la poésie d’Oc. Les liens d’amitié qu’elle entretenait avec Serge, comme avec Yves Rouquette favorisèrent aussi cette réalisation.

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Yves Rouquette, Charles Galtier, Miquela Bramerie, Serge Bec, André Resplandin, Jean-Luc Pouliquen, (Eygalières, 1990.)

 Nous nous retrouvâmes donc par un beau matin d’avril, à Eygalières, chez Charles Galtier qui avait ouvert sa maison et son jardin pour le tournage. Nous étions cinq à participer à l’émission : Charles Galtier donc, Yves Rouquette, André Resplandin, Serge et moi-même. Les Alpilles nous offraient un merveilleux décor et c’est au milieu des oliviers que chaque poète répondit aux questions de Miquela et déclama ou lut ses textes. Pour moi, ce fut une expérience extraordinaire que d’entendre chacun s’exprimer en Oc. La langue française n’avait plus sa place en ce lieu. J’avais eu le même sentiment lorsque Casimir Mouttet en 1987 avait dit ses poèmes face à la mer depuis les restanques du Canebas. J’ai toujours en mémoire ces images où Serge devant les caméras fait vibrer les mots de sa langue provençale pour réveiller au fond de nous-mêmes tout ce qui nous rattache au pays profond. Il nous fallut attendre un peu pour faire partager cette expérience unique. L’émission fut diffusée le 24 novembre de la même année.

Vingt années d’amitié ne peuvent se résumer en quelques pages. Les lettres de Serge témoignent aussi de l’écriture de ses différents livres, se complètent quelquefois de poèmes, disent ses voyages, en Italie par exemple, ou à Prague et de tant d’autres choses encore. Son activité toujours nourrie et les nombreuses sollicitations que sa place dans le paysage culturel provençal et occitan entrainent, atteint par moment des pics qui ne lui laissent plus de répit.  

Néanmoins, Serge a toujours gardé un espace pour nos projets communs et je vais maintenant évoquer les deux qui du point de vue des lettres d’Oc me semblent les plus significatifs. 

Commençons donc par l’édition de Sesoun de guerro, titre présenté dans les deux graphies et complété  par sa traduction en français, en italien, en anglais, en allemand et en arabe. 

P 2 Serge bec - 5 001

Il rassemble des poèmes écrits de novembre 1990 à février 1991, période qui correspond à la première guerre du Golfe et s’inscrit dans la collection des Cahiers de Garlaban, après Lis alo de l'auceu, Li racino de l'aubre de Charles Galtier et avant Cellula XIII de Yves Rouquette. Pour Serge, il vient après Pouemo de la Clarenciero I dernier de ses recueils parus en 1989. Notre sollicitation est datée de l’été 90. Le 8 juillet, Serge me répondait : « D’accord pour un recueil de moi. Cela pourrait être si tu le veux bien Pouemo de la Clarenciero II. Nous en reparlerons en son temps ».  En décembre les choses se précisaient et Serge m’écrivait le 17 : « Il se peut que j’ai une trentaine de poèmes prêts d’ici Pâques, mais pas avant. Si tu avais l’intention de publier quelque chose de moi cette année, accepterais-tu que le recueil soit illustré de quelques dessins (2 ou 3) d’un de mes amis, René Métayer, qui travaille sur mes textes depuis pas mal de temps et avec qui nous devons faire une exposition ? Ça me ferait plaisir. »

À l’été 91, le recueil était édité et le 2 août, Serge me faisait part de son plaisir de l’avoir en main. Il comptait 88 pages, 34 poèmes, 4 dessins de René Metayer ainsi qu’un avant-propos. Dans celui-ci Serge y relatait une rencontre qu’il avait eue avec des jeunes du lycée Jean Monnet de Vitrolles et la présentait ainsi : « Voilà une expérience qui devrait inspirer d’autres lycées de Provence. Je crois pouvoir affirmer que toute cette jeunesse a été passionnée – pas tellement par moi-même ! – par ce dialogue prolongé, en provençal, sur les problèmes de l’identité, de la langue et de la poésie avec un type qui essaie de vivre tout cela chaque jour. » en ajoutant : « Et je peux affirmer que personne ne m’a jamais posé une question sur la graphie, et je me suis bien gardé de l’évoquer. Parce que l’essentiel, pour ces élèves, c’est la langue et la poésie d’un homme vivant dans la même société qu’eux. » Serge concluait en expliquant que pour ces raisons, il avait choisi depuis quelques années d’écrire dans les deux graphies, pour aider à rassembler, non pour diviser.

Il restait maintenant aux Cahiers de Garlaban à faire connaître Sesoun de Guerro et à le diffuser. C’est ici qu’intervient un événement qui a placé le recueil et son auteur dans la pleine lumière. En mai 1992, un jury composé de Yves Berger, Jean Joubert, Robert Lafont, Marie Rouanet, Jean Rouaud, Frédéric-Jacques Temple, Pierre Toreilles et Marcel Séguier attribuait à Serge Bec, le Prix Antigone de la ville de Montpellier. Je me souviens encore de ce coup de fil de Serge qui me l’annonçait avec cette autre bonne nouvelle qui fait plaisir à un éditeur : la ville achetait 300 exemplaires pour les diffuser dans les bibliothèques et les centres culturels français à l’étranger.

Les tirages des recueils de poésie sont souvent modestes, Sesoun de guerro sera le titre le plus diffusé de notre collection, avec huit cents exemplaires.

P 4 Entre Gascogne et Provence - Bec Manciet

C’est dans cette même période qu’ont été lancés les entretiens avec Serge et Bernard Manciet. Leur réalisation commence en septembre 1991 et s’achève en mai 1993. Ils paraitront chez Edisud, à Aix-en-Provence, au cours du premier trimestre 1994, sous le titre Entre Gascogne et Provence – Itinéraire en lettres d’Oc

Après avoir réalisé un livre avec Jean Bouhier, un autre avec Daniel Biga, j’avais à cœur d’en consacrer un à la poésie de langue d’Oc, toujours sous la forme de l’entretien. C’est un mode d’investigation irremplaçable pour entrer dans la dynamique d’un parcours de création, partager les préoccupations d’un auteur, suivre avec lui les cheminements de son œuvre.

Des liens d’amitié très anciens reliaient Serge à Bernard Manciet. C’est ainsi que le contact a pu être pris et le projet être envisagé. Dans le même esprit que celui qui avait orienté la collection de poésie occitane des Cahiers de Garlaban, il s’agissait là encore d’unir et non de diviser, de décloisonner, de permettre une approche d’ensemble de la littérature d’Oc. Serge, en Provence, Bernard Manciet, en Gascogne, se trouvaient chacun à une extrémité de l’Occitanie, il n’y avait plus qu’à faire circuler la parole entre les deux et ensuite la recueillir.

Dans ces années-là Internet n’existait pas. C’est donc par courrier que nous avons procédé. J’envoyais une question à Bernard Manciet qui me répondait puis je faisais suivre à Serge qui à son tour m’adressait sa réponse que je réintroduisais dans le débat, procédant ainsi par un mouvement de balancier. Si la trame de l’entretien avait été ébauchée dès le début, les questions elles, se mettaient en place au fur et à mesure car je souhaitais aller dans le sens d’un approfondissement du propos.

Mais l’écrit ne suffit pas. Il faut le compléter par la parole afin de l’ajuster et de lui donner sa forme définitive. C’est dans cet esprit que durant le mois de mai 1993, nous nous rendîmes ensemble Serge et moi à Trensacq dans les Landes chez Bernard Manciet.

À cette époque  nos entretiens étaient sur le point de se terminer. J’en ressentais un certain soulagement, car ils avaient plutôt mal commencé et l’anecdote vaut d’être racontée. Voici la première question que j’ai posée et que l’on retrouvera dans le livre, : « Alors que notre siècle s’achève, de nombreuses questions remontent ici et là sur la manière d’assurer à notre planète un avenir. Dans cette remise en cause générale d’un ordre périmé, le problème des identités collectives et individuelles occupe une place centrale. Bernard Manciet et Serge Bec, par vos enracinements, par vos œuvres, par vos itinéraires, vous témoignez l’un et l’autre d’une appartenance singulière et forte à cette partie de l’Europe du Sud que l’on appelle l’Occitanie. Cette appartenance mérite éclairages et commentaires. Elle est, à mon sens, riche de perspectives et d’enseignements pour demain.  Je vous propose pour commencer, de nous dire comment est né votre sentiment occitan ». La réponse de Bernard Manciet fut celle-ci : « Je ne vois pas en quoi la fin d’un siècle présente plus d’intérêt que n’importe quel moment du siècle. Nous assistons, au cours des siècles, à la réorganisation des empires, qui bougent comme on se retourne dans le sommeil, mais guère davantage. Le mot « occitan » est pour moi un néologisme. Le sentiment que j’ai d’appartenir à la famille des civilisations de Rome et de l’Atlantique date de bien avant que j’aie connu ce mot. Par ailleurs, je n’éprouve aucun sentiment. »

Si aujourd’hui je relis ces lignes avec beaucoup d’affection pour le personnage, à l’époque j’avais été un peu dérouté. Comment enchaîner sur de tels propos ? Je m’en ouvris alors à Serge qui prit cela avec beaucoup d’humour et fit ce qu’il fallait pour que son vieil ami envisage nos échanges avec moins de provocation. Et tout fonctionna parfaitement.

La visite que nous rendîmes à Bernard Manciet en 1993 restera pour moi un de ces moments d’exception comme il en existe parfois dans la vie des poètes. Le temps de la poésie supplante le temps ordinaire et réalise une sorte de communion des âmes. Mais il ne nous soustrait pas pour autant aux biens de ce monde.

Bernard Manciet nous offrit un succulent repas dont presque tous les composants venaient de son terroir : charcuterie, volaille, légumes, vins. S’y ajouta dans l’après-midi un vieux rhum millésimé dans les années vingt qui donna plus d’intensité encore à nos échanges.

C’est sur ce souvenir heureux que je souhaite terminer cette évocation. Il n’exclue pas, Serge le sait, le partage de sa peine pour celle qui était à son côté durant toute cette période, son épouse Annette, inspiratrice de ses plus beaux poèmes. Et je voudrais conclure en ayant une pensée pour elle.

 Jean-Luc Pouliquen

 *

Texte de Serge Bec.
Vu du parc de Jean-Luc Pouliquen.
Portrait de Jean-Luc Pouliquen dans Nice-Matin/Var-Matin du 31 janvier dernier.
Présence poétique de Jean Giono par Jean-Luc Pouliquen.
À chacun son Giono !
Serge Bec parti et toujours présent par André-Pierre Fulconis
Serge Bec, in memoriam
Jean-Luc Pouliquen - Biographie, publications (livres, articles)
Jean-Luc-Pouliquen dit des poèmes.
Texte de Serge Bec.
Les deux chemins par J-L Pouliquen.
Dada et le médiateur culturel, par Jean-Luc Pouliquen.
La pensée du jour de Jean-Luc Pouliquen.
Tribune libre : L'art à l'école par Jean-Luc Pouliquen.
Fantaisies autour du trèfle.  
Dans le miroir des livres de J-L Pouliquen.
Faire vivre la poésie de J-L Pouliquen.
Lucienne Desnoues. Bio-bibliographie.

 

 

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Commentaires
J
A côté de la richesse du texte de Jean-Luc Pouliquen, je tiens à souligner une nouvelle fois le travail actuel d'André Lombard. Loin de moi de taire mon admiration pour les récits de ces rencontres (je me réserve d'y revenir avec d'avantage d'attention), mais j'insiste sur le travail d'entre-metteur d'André qui rassemble, qui mélange, qui tisse des liens, les mets en évidence, ces"...liens d’amitié très anciens..." ...les cheminements " de ces artistes qui "...participent d’un même engagement dans la vie d’un pays, dans ce que nous pouvons appeler : La Provence de..." <br /> <br /> Je devrai donc revenir sur les "cheminements" sujet qui m'est fondemental et existentiel.<br /> <br /> Merci André de nous livrer tout ceci, de commenter tout cela. J'apprécie autant ta volonté et ton écriture, cette écriture bien à toi que tu ne tiens pas toujours à sa juste valeur (comme une patte de chat, pourris-tu dire; tu en sais quelque chose.<br /> <br /> J'ose<br /> <br /> embrasse tout le monde<br /> <br /> JJP
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