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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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18 octobre 2017

Je ne sais pas ce que tout cela va...

   Évoquant un jour ensemble à l'atelier son œuvre de peintre - atelier où, je m'en souviens très bien, la pendule s'était, il y avait peu encore, arrêtée de battre, à deux jours près, en avance, de celui où, lui aussi à jamais, il s'arrêta de peindre - Serge m'avait tout à trac finalement déclaré, soulevant d'un coup une énorme question suggestive ; brûlant peut-être bien à ce moment-là d'entrevoir, je ne sais, quelque chose de l'avenir en s'imaginant peut-être pouvoir, plus facilement à deux, en lever un pan du voile : « Je ne sais pas ce que tout cela va maintenant bien pouvoir devenir. »
Bouteille à la mer ? Peut-être bien, car c'est bien l'unique fois en quarante années d'amitié que, me prenant à témoin, je l'entendais lancer pareille interrogation concernant son travail d'artiste. Il est vrai, là, à cette heure, en sa totalité, c'est-à-dire devenu son double éternel en quelque sorte, ou tout au moins sa tunique intime, intérieure, très personnelle, vouée à demeurer sur terre quand bien même lui, bientôt dessous, n'y serait plus.

Se projetant carrément dans le posthume par le vœu, le souhait, Bonnard n'hésitait pas à donner, lui, réponse à moitié à ce qui est au fond la même question sur le même sujet quand, devançant le temps par le biais d'une image, il déclarait lui aussi vers la fin : « Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon. »
Serge souhaitait-il à ce moment-là, en écho à ce qu'il m'avait dit, une tentative de réponse de ma part, ou se tendait-il la perche uniquement à lui-même, à lui tout seul ?
J'étais bien sûr tout aussi incapable que lui de formuler quelque réponse ferme, ne pouvant seulement faire, en pareil cas, qu'une hypothèse. Lui répondant, j'ai d'abord très certainement dû vouloir le rassurer, lui disant sans doute qu'en toute logique, « quoi qu'il arrive », son œuvre continuerait à vivre et à faire des heureux : ce qui se passe jusqu'à aujourd'hui ! Ce qui, je le savais, était à même de lui faire encore le plus plaisir parce qu'étant tout à fait dans la continuité du sens et du but de toute sa vie : rendre les gens heureux, lui y compris - sa peinture le lui rendit bien, en effet !

Dernière œuvre de Serge

 Ultime Fiorio : une trouée de bleu dans le ciel, du coup infini, d'un paysage de neige resté inachevé, huile sur toile, 33X24 cm, 2008.

Il s'interrogeait ainsi seulement quelques mois avant son départ définitif, un peu comme si, se sachant en bout de course, il éprouvait le besoin - métaphysique ? - de se retourner soudain sur le chemin parcouru ; le parcourant, non en le balayant en surface du regard, mais en le considérant en entier. Ou alors, qui sait, en en faisant peut-être bien l'équivalent de sa barque des morts à la façon de celles de l'Égypte antique, y étant lui-même son propre passeur. S'y soupesant lui-même en douce post-mortem puisque l'œuvre d'un artiste est du pur domaine de l'âme avant tout.
Ne dit-on pas qu'à l'ultime instant les mourants voient défiler toutes les étapes de leur vie ?
À la façon de mourir idéale que j'imagine pour un tel rêveur impénitent, Serge a peut-être bien, au dernier moment, vu défiler en rang serré toutes ses peintures ! 
Car n'est-ce pas lui qui avait dit aussi : « Il suffit que je ferme les yeux pour que tout s'éclaire ! » C'est bien lui.

*

Revue Texture. Les coups de cœur de Jacques Ibanès

 

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Commentaires
M
Tu m'avais confié ce qui préoccupait Serge, au point de se demander ce qu'allait devenir tout le travail d'une vie, parsemé par-ci par-là aux quatre coins cardinaux. Tu l'évoques ce matin dans le blog et chacun se sentira concerné comme si on se posait la question de l'au-delà de sa propre vie. Terrible interrogation qui agite l'âme depuis l'aube des temps. Dans cette question, j'y vois comme l'équilibre des deux plateaux d'une balance: la vie et l'oeuvre. Trop lucide pour ne pas y penser, Serge, comme tout un chacun, ce jour là, avait besoin d'être rassuré et c'est toi qu'il a choisi pour lui apporter une réponse. Mais j'y vois aussi, plus grave encore, la question du devenir de l'oeuvre. Elle est tellement liée à sa propre vie que, arrivant à son terme, il se mettait à douter du destin de sa peinture, de son avenir, de son éternité, ce qui à mon sens pouvait lui faire oublier l'angoisse métaphysique que ressentent tous les hommes devant la mort. Il n'est pas question de transcendance, Serge m'avait dit qu'un corps sans vie n'est rien d'autre qu'une branche d'arbre mort. Peut-être les Souches, ce thème majeur qu'il affectionnait de peindre nous donnent-elles une réponse à la question de la mort et à ses propres angoisses: les racines arrachées à la terre sont tournées vers le ciel et continuent de vivre par les mousses, les lichens et les végétaux qui sortent de ses entrailles, une belle leçon d'éternité! Ses tableaux chantent la vie et sont accompagnés d'une musique sacrée. Ceux qui les possèdent, du plus pauvre au plus riche ne s'en séparent qu'après leur mort et de ces tableaux d'autres viennent et leur donnent une nouvelle vie à l'image de leur propre vie. Si Serge m'avait posé la question je lui aurais cité de mémoire la mort de Bergotte dans la Recherche: "on l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'étaient plus, le symbole de sa résurrection". Avec sa sensibilité, il n'aurait rien dit, juste un sourire du coin des lèvres.
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A
André, Serge a bien choisi son fils spirituel, qui le continue avec bonheur, vérité, lucidité et tendresse...
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