Je crois qu'il y aurait beaucoup à dire au sujet de ce beau spécimen de danseur-funambule-à-ailettes évoluant, au dessus d'une foule multicolore de masques, en justaucorps bleu uni comme, on l'imagine, devait l'être tout le ciel en lequel se jeta Icare battant des ailes en direction du soleil.

Ne serait-il pas une représentation de l'esprit même de la peinture quand, en miroir et sans entraves, Serge prend lui aussi plaisir à faire des siennes à son aise via ce Carnaval au village ? Ou peut-être est-il encore, aussi, une pure fantaisiste figure de l'ange comme, parfois en nombre, il en surgit - alors parfaitement fidèles à la traditionnelle image de leur nature surnaturelle - dans les ciels de Giotto di Bondone ou dans ceux de multiples autres primitifs italiens. Mais ici rien de mystique ou de religieux : ange plutôt de l'inspiration la plus libre qui soit, la plus heureuse !

Trésor 8Cet extravagant personnage peint en plein "exploit" me rappelle une autre créature fioresque d'envergure : ce cheval fabuleux, lui géant et multicolore, dont - le voyant faire feu des quatre fers, bondissant sans effort d'une colline à l'autre autour de Montjustin - Serge fit une nuit le rêve, merveilleux songe en vérité prémonitoire : le peintre se trouvant en effet au seuil de réellement franchir dans son œuvre, début soixante, un nouveau palier de création. Quoique bien différents, ils me paraissent forts proches cousins, d'énergies semblables en tout cas.

N'est-il pas dans la toute naturelle fonction de l'artiste de manier et de transformer les mythes tout en les faisant siens, usant pour cela d'une sûreté d'esprit inventif toujours un peu magicienne ? Dites-moi, quel grand peintre ne s'y est pas frotté ? C'est ainsi, il me semble, que l'un l'autre se nourrissent et se renouvellent mutuellement, tandis que ces métamorphoses opèrent dans le sens d'une actualisation commune toute personnelle.

Chez Brueghel l'Ancien, Icare se noie, en bas à droite, dans l'indifférence générale, alors que fraîchement débarqué à l'atelier chez Serge, son tout nouvel avatar est, lui, bien "tombé", si je puis écrire : en pleine fête populaire dont - aussi souple et aérien que les branches de l'arbre tout en paraissant danser en parfait état d'apesanteur - il devient ici non seulement la vedette, mais encore le motif principal de la toile. Cela, au lieu - ayant fait jadis fausse route par manque de sagesse - d'aller vertigineusement s'écraser puis s'anéantir, à jamais indifférencié, dans l'uniformité opaque de l'eau de mer.

La chuteParabole, affleurante, de la double voie alchimique, de ses effets pervers ou fructueux selon l'une ou l'autre mise en œuvre allant, en elle, en sens inverse, le tableau de Brueghel l'Ancien La chute d'Icare est tout à fait traditionnel de signification, fidèle à sa source mythologique. Mais, bon prétexte, Carnaval aidant pour en sauver le héros, Serge Fiorio n'hésite pas un instant, pinceaux en main, à le faire joyeusement participer à la fête au village. Fête peut-être même bien peinte cette fois-ci en son honneur dans l'esprit malicieusement carnavalesque du peintre.

Le mannequin bourré de paille jusqu'aux oreilles que l'on brûle rituellement une fois ligoté à la colonne de pierre de la fontaine du village, est ici occulté. Celui-là, son demi-frère aérien qui le remplace au pied levé, n'est plus la malheureuse victime expiatoire accablé de tous les maux d'une population ; il semble être au contraire, sinon un exemple à suivre, du moins un personnage fascinant, un aîné, vers lequel le peintre nous fait nous-mêmes lever les yeux. Le totem se substituant - pourquoi pas - au bouc émissaire.

Trésor 8Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ?
Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga.
Il a une drôle de tête ce type-là,
Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a ?

Pierre Vassiliu

*

Souscription_La_Grande_Fête

Le blog (du même auteur) : hautes-alpes-insolites

ET

https://secure.avaaz.org/campaign/fr/president_trump_letter