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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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7 novembre 2016

La femme de sa vie, par Jacques Ibanès.

LA FEMME DE SA VIE

    Il est au lycée. Chaque jeudi, promenade collective. Les internes se rendent en rangs par deux au vallon des Gardes, où Achille Empéraire et son ami Cézanne aimaient venir peindre sur le motif.  Il a douze ans et son camarade, comment s’appelait-il déjà ? Gippon. Gippon Paul lui parle de Colette. Il a déjà entendu ce nom et voilà qu’il se prend à l’aimer, sans l’avoir jamais vue, sans l’avoir jamais lue.

   Il faudra attendre encore quelques années. Sans doute dans un manuel de littérature, au chapitre des écrivains de terroir. C’est étonnant comme les érudits se trompent quand il s’agit de porter un jugement de valeur sur leurs contemporains. Ils tapent toujours à côté.

   Toujours est-il que lui, aux portes de l’adolescence, il se met à lire Colette dans les premiers livres de poche. Et il est de plus en plus amoureux d’elle. Il croit tout ce qu’elle raconte. Il la suit dans les périples de sa vie, ses multiples déménagements, ses amours. Ses livres, il les caresse comme il a envie de caresser son visage, ses seins, ses hanches, ses fesses.

   Elle est tellement présente, tellement vivante. Un jour, il se rend compte que la femme de sa vie est morte depuis longtemps : il était encore à l’école primaire. Il a passé tant d’heures en sa compagnie, qu’il a le sentiment de mieux la connaître que bien des femmes avec lesquelles il a partagé par la suite des moments d’intimité.

   Et voilà qu’un jour de novembre à Saint-Sauveur-en-Puisaye qui est son village natal, il a rendez-vous avec la fille de la femme de sa vie. À ce moment de son existence, il n’a pas encore trente ans et Bel-Gazou (c’est le nom que sa mère lui a donné dans ses livres) en a plus du double. Quand leurs regards se croisent, il a l’impression d’être en présence de la femme de sa vie tant elle lui ressemble. Les yeux, la bouche, la chevelure, l’allure.

  Ils déjeunent ensemble et parlent longuement. Il ne se souvient plus de quoi. Il y a tellement longtemps. Il se rappelle juste qu’elle lui a dit qu’être la fille de Colette était un héritage très lourd à porter. Il n’a compris le sens de ces paroles qu’après avoir lu, quelques décennies après cette rencontre, la correspondance que la mère a échangée avec sa fille.

  La littérature n’est pas la vie. Elle est mieux que la vie. Il serait tellement mieux que ce soit elle, la vie : seulement des mots alignés. Des mots qui feraient émerger une maison d’où sortirait une vieille femme en fichu et en blouse disant « Où sont les enfants ? » dans le léger brouillard d’un matin crispé de fin d’hiver.

 

NDLR : Pourquoi s'en priver ? J'ai tenu à publier aujourd'hui ce texte de Jacques parce-qu'il me paraît faire une suite parfaitement charmante et cependant vraie de vraie aux ferventes pages de Lucienne publiées ici même hier et avant-hier sur la grande Colette.

Je crois, de plus, que toutes les deux l'apprécieraient, et Bel-Gazou aussi.

André Lombard.

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