Le Luberon (et non Lubéron !)
C'est là, depuis l'année 1947, le grand grenier à rêves, la montagne magique, la montagne sacrée ! Pour preuve, une nuit des années soixante - qui ont peut-être bien été parmi les plus riches et les plus prolifiques, sur bien des plans, dans la vie des Fiorio - un beau solide cheval, géant et multicolore, fioresque Pégase sans aucun doute possible puisque « Ne lui manquait que les ailes ! » selon les mots mêmes de Serge, apparaît soudain au peintre endormi dans sa chambre et se déplace par bonds et sauts harmonieux d'une colline à l'autre d'« un Luberon grave, taillé au diamant ». Il en parcourt aussi, toujours mi-terrestre, mi-aérien, la vivante ligne de crête avec l'agilité et la grâce quelque part surnaturelle d'un puissant danseur-funambule « évoluant comme en apesanteur ! »
Et Claude-Henri Rocquet - à qui fut rapporté le récit de ce rêve étonnant, fantastique - d'écrire, lui, assez sûr de lui : « Comment, dans ce cheval multicolore, et dans son vol ou son galop angélique, ne pas voir l'esprit de la peinture ? Et le changement, onirique, du chevalet en cheval. »
Inspiré par ce territoire au relief truffé à foison d'histoires vraies autant que de pures légendes depuis le plus lointain passé connu, son incontournable mystère parlant très très fort à sa sensibilité d'artiste, le peintre en devient le chantre jusque dans les moindres détails qu'il "accapare", les intégrant - une fois transfigurés à loisir sur la toile - en les faisant passer, par tel ou tel thème adéquat, ou l'inaugurant, dans son monde poétique à lui, bien à part.
Peintre du Luberon, il en enrichit et en renouvelle aussi en retour l'esprit et le vécu par la foncière originalité de ses très diverses interprétations. Bien des peintres, et parfois non des moindres - « Il est plus aisé pour un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille, que pour un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. » - n'y sont pas si naturellement, ni si souvent arrivés. D'autres, encore, s'y sont même tout de suite brutalement cassé le nez.
« Le pays vous chérit ou vous rejette » disait, elle, du pays de Lure, Louisette, la première épouse de Pierre Magnan. Idem, je crois, pour tout autre; c'est là une sorte de loi tacite qui a sa logique interne sans doute et garde ses raisons secrètes. Mais, venu très volontairement sous son ciel jeter l'ancre avec sa famille, puis s'y intégrant courageusement jour après jour par sa vie toute entière, le Luberon pouvait-il ne pas très vite devenir, au contraire, terre d'élection à ce peintre-paysan heureux d'y travailler ciel et terres avec amour, accordant ainsi son destin hors-norme à une lumière ici vraiment exceptionnelle ?