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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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23 juin 2016

André Lhote à Gordes

   Répondant à l'aimable invitation de l'association Les Ateliers de Gordes, je me suis tout récemment rendu au jour et à l'heure dits dans la grande salle du château où trône la majestueuse cheminée renaissance pour y entendre la conférence-lecture de Gérard Lebouchet et Richard Ritte sur André Lhote, le célèbre peintre-théoricien qui vécut dans ce village et y peignit pendant plusieurs années.

Et là, j'en ai appris de belles ! Des vertes et des pas mûres, comme on dit encore volontiers par ici. Arrivé là en « découvreur » du village (le beau rôle quoi, comme si les habitants, pensez donc, l'avaient peut-être jusque-là attendu comme le Messie...), il y acheta une magnifique demeure fort à son goût pour la modique somme, bien entendu, de trois-francs-six-sous, pour employer ici une expression que je déteste par-dessus toutes parce qu'elle reflète bien la parfaite mesquinerie d'esprit, en plus de l'autre.

Se moquant, caricaturant et tournant en ridicule la population dans son ouvrage – moins connu que son Traité du paysage  Petits itinéraires à l'usage des artistes (dans lequel il note, pêle-mêle, des réflexions sur la peinture, sur les gens et sur les lieux, des confidences aussi), le personnage  s'il sait écrire, il est vrai – n'a rien de bien sympathique, car étant plutôt du genre méprisant pour ses hôtes qu'il n'est, à l'entendre, pas loin d'assimiler à une communauté de tarés ! Le type même du citadin descendu tout droit de sa ville qui met un peu les pieds dans le tas de fumier et s'autorise alors tout de go à cracher dans la soupe commune. Étant pourtant déjà passé par Mirmande, dans la Drôme, pendant la dernière guerre - ce qui visiblement, à sa lecture, ne lui avait pas appris grand chose de plus sur le bon fonctionnement des relations humaines; pas plus ouvert les yeux, ni le cœur, non plus, envers une population campagnarde, certes souvent d'un pittoresque portant à rire, pourquoi pas, mais pleine d'heureuses qualités natives, plus subtiles que leurs apparences ! - ce suffisant ne sut pas goûter à tout cela puisque étant venu peindre ici à la lumière, tout cela resta pour lui dans l'ombre, se dérobant à sa sans doute trop superficielle sensibilité. S'il avait soi-disant "découvert" le village, il n'y fit donc pas l'heureuse rencontre avec son âme, bel et bien incarnée à l'époque par ses habitants !

Je ne peux évidemment pas, là, à ce propos, ne pas évoquer tout ce que, au contraire, Serge nous raconta toujours avec plaisir, aux uns et aux autres, jusqu'à la fin de sa vie, de cet apprivoisement mutuel puis de cette amitié qui, dès la première année de son accostage à Montjustin en 1947, le lièrent à jamais - non seulement lui personnellement, mais toute sa famille – aux montjustiniens de souche. Pour preuve, par exemple : monsieur Roure, le dernier paysan vivant encore intra-muros ne prêtait volontiers qu'à lui, et à lui seul, sa paire de mulets. Ce qui était un signe de confiance insigne de la part de ce vieux paysan pas si rustre qu'au départ on aurait pu le croire car tout ce qu'il promettait il le tenait, sa parole valant signature ! Confiance insigne, oui, qu'il fallait savoir comprendre et apprécier à sa juste valeur, ce qui fut fait de la part des Fiorio, sans doute plus fins d'esprit que Lhote. Par la suite, Serge ne sera-t-il pas élu maire plusieurs fois, et haut la main à chaque fois ? Il faut dire que les Fiorio avaient su s'intégrer tout naturellement, sans attendre, sans forcer ni se forcer eux-mêmes, en se liant aux autres par le travail accompli en commun (moissons, vendanges, coups de mains, échanges de services, etc). En retour et sans jamais discontinuer, cette population autochtone le leur rendit bien et de bien différentes façons. Rien en Serge du conquistador, pas une once de cet esprit-là; c'est là, semble-t-il, toute la différence avec le positionnement de Lhote envers les villageois et les paysans de Gordes. Les Fiorio ne se brouillèrent en tout et pour tout qu'avec une seule personne, un  artiste, comme eux venu d'ailleurs : Lucien Jacques !

J'ai aussi appris à cette conférence que lorsque, un peu plus tard, dans les années cinquante, toute une colonie d'abstraits s'installa à Gordes dans le sillage du peintre Jean Deyrolle arrivé à vélo, jaloux, Lhote se sentit comme dépossédé de son "trésor", figurez-vous !

Briguant honneurs et reconnaissances, souhaitant être adulé comme une star mais n'y parvenant pas, il ne put que se trouver insatisfait car ce ne fut pas là son lot prédestiné. Jusqu'à ce qu'eut lieu, il est vrai, son exposition – il avait alors atteint les soixante-quatorze ans - au musée d'Art moderne de Paris devant laquelle il fit la grimace en déclarant, dédaigneux : « Maintenant, c'est trop tard ! » Il fallut Jean Paulhan (qui le connaissait bien) pour tenter alors de lui remonter un peu les bretelles, mais en vain. Dans leur correspondance parue en 2009 chez Gallimard, celui-ci lui écrit, sans doute lassé par ses jérémiades : « Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? L'Académie française ? »

Là aussi la comparaison avec Serge s'impose en regard de la profonde modestie de ce dernier qui ne lui faisait lorgner ni envier aucune reconnaissance officielle. Celle, bien plus vraie et profonde, de ses amateurs familiers et de ses proches lui suffisait sagement. Je pense que cela authentifie que s'il n'était, comme tout un chacun, pas toujours sûr de lui-même, il l'était par contre de la valeur intrinsèque de sa peinture en général, de ses qualités particulières, y faisant entière confiance; mais au présent, sans jamais se soucier de postérité : raisons pour lesquelles il présentait la plupart du temps ses tableaux à ses visiteurs dans le plus grand silence, s'exprimant parfois sous la forme, seulement, de petites ou grandes plaisanteries n'ayant pas grand chose à voir avec son art et ses impérieuses raisons de peindre tous les jours, sans jamais discontinuer. Préférant laisser ses peintures parler ainsi d'elles-mêmes, à sa place !

Et la peinture de Lhote, me direz-vous ? Chacun peut aujourd'hui par lui-même s'en faire une idée facilement. Pour ma part, je la tiens pour celle d'un bon coloriste, d'un solide constructeur - autre Ambrogiani en quelque sorte ! - mais restant, malgré ces hautes qualités (qui devraient d'ailleurs savoir se fondre pour mieux se laisser oublier), trop corsetée par l'esprit de recherche; ce qui, à force, la fait hélas rejoindre un certain académisme rigoureusement marqué de son époque.

Gordos

S'il y a des réputations surfaites en peinture - et il y en a, à mon avis, quelques belles flopées ! – celle d'André Lhote en est une, en fait partie. Ce sont celles de celles et ceux qui n'ont jamais compris que ce n'est surtout pas en se "creusant la cervelle" que l'on trouve la véritable inspiration, qui est de l'ordre du surnaturel tout simplement. Oui, celle-ci vient toujours d'ailleurs, d'une tout autre dimension de l'être, plus subtile que celle de l'intellect. Dimension de l'être qu'au préalable il faut avoir su développer pour avoir droit à être inspiré, pouvoir y atteindre - chaque artiste selon son propre imaginaire et son propre tempérament.

La semaine suivante, même jour, même heure, c'est Jean-Max Toubeau, peintre lui-même, qui donnait une autre conférence - toujours à Gordes, mais cette fois à l'Espace Simiane (ancien hôpital) - complétant bien la première. J'ai souvent été pleinement d'accord avec lui quand il a parlé de la décadence survenue après la dernière guerre – il n'y a, il est vrai, qu'à visiter expositions et galeries pour s'en rendre compte ! – dans le monde des arts : « Depuis que les nazis ont brûlé des œuvres en les désignant du vocable d'art dégénéré, il n'est plus possible, à quiconque, d'employer ces termes sans se faire copieusement traiter ou de nazi ou de réactionnaire ! » 

Après des considérations, avis et souvenirs personnels intéressants, Jean-Max Toubeau exposa les théories de Lhote sur le sujet, le motif, la stylisation de la ligne, la perspective (dont, par contre, il se foutait un peu !) et ce qu'il appelait Les invariants plastiques, qui étaient son grand truc. Bref, toutes une batterie de lois et de procédés qui, hélas, à la vue de ses propres œuvres, ne donnent pas les résultats que l'on pourrait - comme cela se produit en d'autres domaines – escompter après tant de réflexions hardies et ardues... C'est que la peinture est par nature chose vivante et sensible, ne se laissant pas enfermer et ne se "fabriquant" pas – en tout cas pas à ce point – avec le cerveau : « Peu de peintres savent oublier ce qu'ils ont appris pour ne laisser parler que leur cœur ! » écrivait Serge.

André Lhote avait sans doute encore quelque chose de capital à apprendre lui-même dans le domaine de la peinture : ce n'est heureusement, mais hélas pour lui, jamais la recette – si au point et savante soit-elle ! – qui fait le bon ou le grand cuisinier.

 *

Dans le miroir des jours vient de paraître !

Sur une photographie de Willy Ronis
À chacun son Giono !
Grande Souche, rêve et réalité.
Tribune libre. A propos du Grand retournement et quatre autres ouvrages.
Dans le jardin des mots.


 *

a

 

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Commentaires
S
De la part de Jean-Max Toubeau :<br /> <br /> <br /> <br /> Cher monsieur,<br /> <br /> j'ai lu avec intérêt vos commentaires à propos des conférences consacrées à A.Lhote.<br /> <br /> Je comprends bien votre agacement envers les propos qui peuvent paraître trop élogieux à son sujet, et je partage votre point de vue à propos du regard assez condescendant qu'il a porté sur les habitants de Gordes, comme sur tous ceux que les opulents satisfaits se permettent d'appeler "les braves gens".<br /> <br /> En ce qui concerne son oeuvre, nul doute qu'il aurait souhaité qu'elle soit célébrée avant toute autre, nul doute qu'il s'en faisait une idée gigantesque.<br /> <br /> Si j'avais mieux organisé mon intervention, j'aurais pris le temps de montrer que son discours sur l'art n'était pas sans contradictions, lacunes et approximations.<br /> <br /> Mais je tenais surtout, comme vous l'avez senti, à utiliser les textes de Lhote pour comparer le niveau du monde des arts visuels d'avant - guerre, avec l'ambiance qui à présent nous environne, et me donnerait envie de ne plus jamais fréquenter les milieux de l'art, si je n'avais pas le goût de peindre et si je ne connaissais pas de membres de cette société secrète et informelle d'artistes et d'amateurs qui résistent à l'ubuesque décervelage qui caractérise à mes yeux la "scène artistique contemporaine " des arts plastiques.<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> Jean-Max Toubeau.
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G
Merci cher André pour cet envoi, pour ce texte dans lequel tu t'exprimes joliment et si librement. Ton point de vue est très intéressant, même si je te trouve un peu sévère à l'endroit d'André Lhote qui, selon moi, a quand même fait de belles choses tant avec son pinceau qu'avec sa plume, et encore comme pédagogue et "découvreur" (le mot ne me plaît guère ; il est pourtant vrai qu'il a sauvé - lui et les amis qu'il a fait venir - quelques maisons de la ruine). L'homme était complexe et d'un caractère difficile, exigeant, y compris pour lui-même, torturé enfin en raison sans doute d'une enfance mal vécue. En le comparant et en l'opposant à Serge Fiorio, tu as bien évidemment raison, mais il ne serait pas juste - c'est en tout cas mon avis - de lui ôter tout crédit.
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S
De la part de François Mangin-Sintès :<br /> <br /> Coups de canons tirés à gros boulets dans la grande salle du château de Gordes, à l'écoute de ceux qui théorisent l'art. Hum !!! que ça fait du bien. L'homme, détestable. l'occasion pour toi d'y introduire son revers avec la personnalité de Serge, de les mettre l'un en face de l'autre et de donner au lecteur la possibilité de discerner. Les paragraphes sont parfaitement équilibrés, ta critique hautement distinctive, argumentée, digne de figurer dans un grand quotidien.<br /> <br /> <br /> <br /> Cézanne, Braque, Malevitch et autre constructivistes russes, voilà sa véritable inspiration (Lhote). Chercher (terme à bannir en peinture) l'équation qui résout le problème (de la peinture), stupide et sans lendemain.
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