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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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18 mai 2016

"Pays rêvé"

   « Pays rêvé », sa terre d'élection fut sans conteste la Haute-Provence vers laquelle - jusqu'à ce qu'il y accoste pour s'y installer aussitôt en 1947 - il ne cessa d'être aimanté après qu'«un beau matin » il en eut reçu la lumière, in situ, tout en haut des Escaliers de la Plaine, à Manosque, en compagnie de Giono - lui, étant alors déjà son chantre en écriture dont Serge avait déjà fait le portrait - chez qui il séjournait comme de temps en temps, le plus souvent en hiver, il en avait presque pris l'habitude; portant là, ensemble, du même pas, le courrier de l'écrivain depuis le Paraïs donc, à flanc du Mont d'Or, jusqu'en ville, au bureau de poste.

Paysage PH scan

Mais ce fut à l'improviste, en ce jour fatidique et à la fois providentiel. Au dépourvu, il serait plus juste d'écrire. Sans tambour ni trompette, certes, mais de façon foudroyante. Comme un saint reçoit les stigmates. Conversion soudaine du regard transfigurant le monde sur-le-champ en une vision d'une tout autre qualité que la normale, affolante parce que toute neuve, inédite en bloc au regard sensible du jeune peintre à qui la révélation brusque de la lumière haute-provençale si particulière tout à coup saute aux yeux et un moment le chamboule, l'aveugle quelque peu car le choc fut rude, instantané, de face, sans esquive ni parade possible. Du coup, peur panique d'avoir extrêmement perdu les pédales, et à jamais peut-être, en une seule et unique minuscule seconde maintenant déjà loin, envolée. Vite, toucher la peau d'un gros platane de la main pour se rendre compte qu'en cet instant il ne rêve pas et a encore les pieds bien posés sur la terre ferme bienaimée ! Il mit, dira-t-il plus tard, pas mal de temps à intégrer complètement « l'événement », puis du temps encore à le mettre à profit - ce qu'il fit peu à peu, petit à petit, usant du métier, un pas après l'autre - en œuvres proprement dites, afin qu'il porte du fruit dans sa peinture et, atteignant ainsi son but final, transfigure celle-là même à son tour, de façon singulière.

Paysage GayetLe ciel tout d'abord, quel qu'il soit, tout entier. L'ordonnancement géométrique des champs en parcelles de couleurs en regard de tout le sauvage environnant, les hameaux et les villages, le serpentement des haies et des routes, des chemins, l'âme, entre autres, toute droite et flamboyante à l'automne des peupliers, les divers travaux des hommes, des femmes, les jeux des enfants, et leurs fêtes à toutes et à tous, sous les ciels si divers de chacune des quatre saisons. La saison de l'âme c'est l'hiver sous la neige, à cause de ce silence si haut et si vaste qui s'y répercute si clair, faisant purement écho à un certain silence intérieur. Il y a Carnaval aussi, où l'on change volontiers de tête et de peau, de pantalon et de veste, de caraco, de binocles. Penchée vers la terre nourricière en bonne campagnarde, l'automne est, elle, celle aussi des souvenirs et du temps qui passe, et presse, et jute de tous ses fruits en abondance. L'été ça moissonne de partout, et ça gratte sec dans tous les coins. Chaque gerbe soulevée et comme portée en offrande vers le ciel au bout de la fourche en bois à trois banes est un trophée solaire, pour le moins. Le printemps est le temps et le lieu de la multiplication d'une multitude de coups de clairon lumineux sur le gris et le sec. D'abord celui, rose ou blanc, c'est selon, des amandiers en fleur, en bouton, puis très vite derrière toutes les couleurs s'y mettent. Partout le vert redevient vert, et rien qui cloche dans la fanfare.

Avant de peindre ainsi tout cela à vol d'oiseau, il y eut pour l'apprenti-artiste un long chemin, plein d'ornières et de précipices, d'à-pics, de mirages et de chausse-trappes.

Mais il a réussi - son œuvre peint est bien de la bonne veine, tout enveloppé de mystère - « n'en faisant qu'à son œil » du début à la fin, comme l'écrivit Delteil.

Dans le cas, la peinture est beaucoup plus qu'un genre ou un mode artistique, voilà plutôt une façon d'être, libre, et extériorisée en images, en songes, en visions. C'est un accouchement de soi-même. Les autres n'existent pas quand on peint de la sorte : on est seul devant la toile blanche et seul encore tout le long, jusque devant la toile aboutie, achevée (il faut en commencer une autre, s'oublier encore pour ressusciter encore, de nouveau se ressourcer !). Seul, oui, seul, mais d'une solitude qui ne pèse pas plus que la plume pour certains écrivains, au contraire : qui soulève et porte, sinon donne des ailes ! Le créateur inspiré est environné d'anges attentifs qui lui servent la messe, de colombes duveteuses au bec fin et à l'œil rond qui se posent avec délicatesse où poser les couleurs, d'autres qui les éclairent, tant et si bien que le peintre croit parfois que les choses avancent et se font à l'aveuglette ou toutes seules de toute pièce, presque descendant en direct du ciel. On pourrait parler d'une sorte d'état d'apesanteur de l'esprit et de la main, d'une grâce, naturelle ou surnaturelle, comment savoir en le domaine ?

« Il est encore ailleurs » disent parfois les autres quand ils le visitent en fin de journée. Il semble, en effet, ne pas être parfois encore tout à fait là tant il a peint de bon cœur des heures entières à la file. Grisé, il lui faut un peu de temps devant lui, et de recul aussi, pour revenir au réel, faire machine arrière : remonter à la surface des choses et des êtres, renverser la vapeur, revenir dare-dare !

Peindre comble ce gouffre qui, sans art, resterait béant entre l'être et l'apparence, fait la soudure efficace entre les deux. Et le peintre lui-même ? Ni vu ni connu, fondu comme neige au soleil, seule la signature en fin de compte en témoigne... La peinture étant sans aucun doute parmi les plus puissants des guerriers spirituels, c'est l'œuvre peint lui-même qui est chargé de transpercer le temps de sa lance.

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