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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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4 avril 2016

Suite et fin de la traduction du texte de Rainer Fabian.

   Il fut souvent reproché aux Naïfs que leurs œuvres évoquent "un petit univers", un univers de lilliputiens, que leurs rues et places soient peuplées d’une faune humaine naine, que leurs couleurs soient crues, leurs arbres toujours verts, leurs ciels bleus et leurs fleurs rouges, que leur technique ne sache pas rendre une atmosphère, que la maîtrise pratique de l’art leur fasse défaut, que leur manière, leur style, soient soumis à des variations immodérées.

   Après que les railleries faciles se furent calmées, on leur a aussi pardonné tout cela lorsque l’on perçut de quelle source chaude et vive cet art jaillissait. Un regard indulgent permit de reconnaître que leur vie même et leurs œuvres ont valeur de document psychologique infiniment précieux, en dehors de toute évaluation esthétique formelle, une vie qui, vue de l’extérieur, ressemble à la destinée de Serge Fiorio : l’absence de formation artistique, la décision de se consacrer définitivement à la création prise pour la plupart à un âge avancé, dès que le quotidien le permet, souvent à la retraite, leur origine " populaire ", rarement de milieux intellectuels ; trop vite encouragés et autocritiques ils auraient renoncé à leurs efforts. Ce n’est toutefois pas ainsi que l’on peut comprendre l’œuvre de Serge Fiorio ; car, s’il se situe à proximité des Naïfs, il s’en éloigne radicalement de par ses qualités picturales (comme les toiles des plus grands Naïfs). Tout d’abord, Fiorio a inventé un style très personnel, qui ne se rattache à aucune école, avec une structure rigoureuse du tableau, des contours nets, une composition sans transition que l’on pourrait rapprocher du Nouveau réalisme. Sa palette est très sobre, presque aride, dépourvue de l’agressivité, du feu des couleurs d’un Van Gogh ou d’un Cézanne. Les tonalités de ses paysages – des teintes comme le pelage d’un renard, violet-gris pesant au-dessus desquels se déploie un ciel toujours changeant – saturées, desséchées, de la densité des tableaux très anciens qui furent exposés à l’action du temps. À ces applications, ces couleurs qui rappellent fortement Breughel s’ajoute cet élément caractéristique, immobile, figé qui évoque, surtout pour les personnages, un univers de poupées.

   Chez Giono, un haut plateau paisible se transforme parfois, juste en quelques phrases, en une dalle fantomatique, perfide, des tempêtes s’abattent sur le pays, la nature vengeresse dresse la tête ; chez Fiorio, en revanche, règne une immobilité archaïque, les mouvements (même dans les fêtes populaires) se figent en sculptures anguleuses où Fiorio parvient à une intensité d’une portée prodigieuse, comme dans Le Bal masqué, par exemple. Fiorio y transperce le silence de statues des maisons environnantes par la tonalité inquiétante des masques bruts, grimaçants devant un arrière-plan d’un jaune de coing ; un acrobate, lancé haut dans les airs à l’arrière-plan, gît à l’arrêt dans sa chute, (aussi mou qu’une poupée de chiffons aux membres ballants, désarticulés, au-dessus de la foule de démons).

Si l’on se remémore l’œuvre de Van Gogh, si on l’évoque, non pour les comparer mais pour les analyser et si on la superpose à celle de Fiorio qui ne peint intensément que depuis quelques années, on constate que la

   Provence de Fiorio est plus fidèle à la réalité, mais aussi plus impersonnelle, "vue" par un provençal et moins transposée par la passion artistique, car il n’est guère de provençal qui puisse penser devant des cyprès à de hautes flammes oranges, la chaleur brûlante créant une atmosphère aride de sécheresse, un climat étrangement rigoureux, dur et impénétrable. Là encore, il faut finalement chercher la source des interprétations dans l’humain.

   Si chez Schrimph, la pesanteur, la facture presque cubiste de In die ferue schanender (Personnages regardant dans le lointain) ne peut avoir son origine que dans l’âme du peintre, il en va de même pour les personnages de Fiorio qui, par leur tracé formel suscitent une impression semblable. Il ne faut pas leur chercher une relation dans les tréfonds de l’âme. Le peintre a une attitude dénuée de romantisme envers eux, soucieux de rendre leur « être comme » et non de réaliser une vision artistique par leur intermédiaire.

   Qui rapproche Fiorio de Rousseau en raison de son engouement pour les arbres dont les feuilles sont représentées dans toutes la gamme des verts et des bleus mais dessinés avec une exactitude proche de la pédanterie, est contraint d’arriver à une autre conclusion devant l’esprit totalement différent des œuvres ; car, chez Rousseau, beaucoup de choses sont en fait " invention ". L’enfant aux rochers serait impensable chez Fiorio. Les caractéristiques de la composition et la technique pourraient suggérer qu’il est un successeur du Nouveau réalisme. Elles sont toutefois mieux explicables par la personnalité de Fiorio, un homme d’un calme et d’une assurance peu communs, mais qui ne cherche pas à " recréer " le monde par son art, qui a le regard calme et acéré de l’homme pratique, du paysan et du berger et qui peint selon sa propre nature des toiles qui évoquent le village de Giono : une impression de calme incomparable, un profond sentiment de sécurité et de paix magique.

 

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