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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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19 janvier 2016

Lettre à monsieur Ch.

Cher monsieur,

    Souvenez-vous, je vous avais promis de vous faire un mot pour vous entretenir un peu plus spécialement de Serge ayant élu domicile avec toute sa famille pendant la dernière guerre à la ferme du Vallon, à Campsas dans le Tarn-et-Garonne; mais les fêtes de fin d’année puis, dans la foulée, une méchante grippe ont d'abord mis à mal puis finalement retardé la mise en œuvre de ce projet.

Malgré l’époque tragique à laquelle elle s’est déroulée, « l’expérience du Vallon » - comme il l'appelait - resta à jamais pour Serge un temps d’une intensité de vie extraordinaire. D’abord parce qu’il y réalisait le rêve, commun à lui et à son frère Aldo, d’exercer un jour le métier de paysan qui les habitait constamment tous les deux depuis plusieurs années; qu’il a pu, malgré et contre tout, y continuer autant qu’il le pouvait à bâtir et consolider son œuvre de peintre en commençant sérieusement à se tourner, plein d’enthousiasme, vers le Paysage, tandis que dans le même temps leur participation très active et tout autant efficace - toujours de manière humanitaire et pacifiste - au combat de la Résistance comblait leurs exigences intérieures d’êtres responsables et utiles pour le bien commun en sauvant là, entre autres, de nombreuses vies.

C’est aussi l’époque où, tout feu tout flamme, les Fiorio expérimentent les théories, écologiques avant l’heure, de la culture pasteurienne prônées par un savant du nom de Maurice Aragou qui n’habite pas très loin de leur ferme, à Lavaur. La mise en pratique de ces techniques pionnières de cultures dans un esprit de respect maximum de la nature, et en particulier du sol, leur réussit si bien qu’ils peuvent ainsi, grâce à elles, se nourrir eux-mêmes et faire également manger à leur faim quantité d’enfants et d’adultes juifs réfugiés sous leur protection, secourir de la même façon bon nombre de résistants qui, se repliant, viennent souvent se mettre à l’abri chez eux où ils se savent d'avance, eux aussi, aussitôt pris en charge. D'autre part, des lettres en témoignent, les Fiorio confectionnent aussi et font parvenir de nombreux et bien garnis colis de précieuses victuailles à divers amis répartis ici et là en zone libre - notamment à Paul et Yvonne Geniet d'Arles.

Il va sans dire qu’alors le danger est grand, au péril même de leur vie à tous. Mais n’est-ce pas que, selon l’affirmation d’Hölderlin-le-visionnaire : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » ? Divers et nombreux, les fruits de l'engagement, total, entier, des Fiorio à la ferme du Vallon en ces années cruelles et noires sont, bien plus que l’illustration, la confirmation et l’authentification dans les faits, de la vérité éternelle contenue en cette phrase osée dirons-nous, parce que ne coulant, à première vue, évidemment pas de source avec assurance pour le commun des mortels à qui, en tous temps, elle s'adresse ... encore et toujours !

Serge au VallonSerge et la maman Fiorio en bonne compagnie sous le grand pin du Vallon.

Des amis, des parents, venus de Taninges ou d'ailleurs, viennent séjourner pendant les mois d’été, donnant souvent de bons coups de main pour les récoltes, la garde du bétail ou les soins à prodiguer à l’importante basse-cour, la réfection et l'entretien des bâtiments d'habitation ou encore agricoles. Ensuite, au soir, après le repas pris en commun au bout de journées bien pleines - souvent même remplies à ras-bord - tout ce monde se réunit, faisant cercle sous le grand pin parasol, discutant alors à bâtons rompus ou, le plus souvent encore, chantant tous en chœur dans la nuit pour chasser de leur corps la fatigue, mais surtout - sinon dissoudre - du moins diluer ainsi quelque peu par le partage et l'échange de chaleur humaine à haute dose, les plus hallucinantes de leurs peurs et les plus tenaces de leurs angoisses.

Serge avait le sentiment et disait que s'ils étaient restés à Taninges où la famille Fiorio était évidemment très connue après seize années de vie au village, ils n'y auraient, par contre, très certainement pas été aussi libres d'agir et y auraient peut-être même bien laissé des plumes, sinon leur peau : « Le Vallon nous a sauvé la vie ! » résumait-il, parlant au nom de tous.

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