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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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14 novembre 2015

Tribune libre sur la crémation.

   Pour la première fois, je me suis rendu à un crématorium pour y accompagner de ma présence un ami défunt; et j'en reviens doublement désolé. En premier lieu par le départ prématuré de cet être merveilleux et puis par cette façon - devenue, il faut bien le dire, un peu à la mode - qu'il avait sans doute choisie et prévue lui-même depuis longtemps pour s'éclipser.

C'est un choix que je respecte bien volontiers mais, n'empêche, quelques questions restent quand même posées pour nous tous, celles et ceux qui restent en attente sur la grande liste : le four fonctionnant au fuel, au gaz ou au GPL, ce procédé est-il bien écologique à l'heure où la planète n'en peut bientôt plus sous les multiples effets nocifs de l'effet de serre ? Quelle quantité de carburant est-elle nécessaire pour réduire ainsi un corps ? La seule et unique réponse que j'ai trouvée n'en est certainement pas une, à savoir : « La consommation est hors de propos car très variable en fonction du volume à brûler. » Avec ça... Et, jusqu'en 2018, les cheminées des fours n'ont pas à être obligatoirement équipées de filtres adéquats pour retenir dioxyde de carbone, mercure, et autres polluants atmosphériques, donc terrestres aussi. Voilà pour le niveau écolo le plus matériel et le plus basique, mais si l'on grimpe un peu, on peut bien aussi se demander si c'est écologique, alors au sens bien plus large du terme, de forcer un corps - fusse le sien propre - à être si rapidement et brutalement détruit ? Je vois là une violence inouïe quand depuis toujours la terre sait faire cela tout en douceur, na-tu-relle-ment - j'allais même écrire : de façon maternelle...

Se faire cramer complètement en une heure et demi, peut-être moins, c'est foutre tous les esprits à la porte, les chasser de chez eux, en somme comme des malpropres, et nier l'âme tout entière tout d'un coup ! Or, il faut plusieurs jours pour que ces énergies subtiles s'en aillent d'un corps et encore pas toutes. Certaines restent. Non, ce n'est certes pas (encore !) à la Faculté que l'on apprend ce genre de chose, la Faculté, que je sache, n'est pas très experte en le domaine !

Il y a de la place pour tout sur terre : pour des usines, des prisons, des supers et hypers marchés, des camps militaires, des Disneylands, des camps de concentration pour animaux de toutes sortes, des porte-avions géants, des lieux d'enfouissement de déchets nucléaires, tout ce que l'on veut, mais de moins en moins pour de simples sépultures. Ainsi, la mort elle-même est enterrée - au plus mauvais sens du terme, cela va sans dire ! 

Passé au broyeur, réduit en cendre ou presque, quel lien restant actuel ayant forme humaine est-t-il possible avec ses amis et ses proches quand, décidément, on est vraiment devenu plus personne ? Frustrant, non ?

Là-dessus, je voudrais maintenant donner à lire un texte qui ne m'appartient pas, mais je le trouve de circonstance dans cette tribune inhabituelle et, pour cela peut-être, pas très au point. Il est d'Adrienne Cazeilles, une institutrice de la vallée de l'Aspres avec qui Serge à correspondu pendant des années. Non pour vouloir convaincre de ci ou de ça, mais pour le plaisir d'y méditer un peu avec elle, en compagnie de sa grand-mère. 

30 janvier 1983. Un dimanche dans les Aspres.

   Dans la paix de ce calme et lumineux dimanche d'hiver, je suis venue passer un moment sur la tombe de ma grand-mère, dans le petit hameau où elle est morte il y aura bientôt cinquante ans.
Un lilas d'Espagne fleurissait sur l'humble tumulus de terre, et quelqu'un avait récemment fauché l'herbe entre les tombes et sous les chênes plusieurs fois centenaires qui ombragent le petit cimetière.
La mort apparaît ici comme l'aboutissement dernier et nécessaire de la vie, le passage du "témoin" dans la course de relais qui se poursuit de génération en génération, donnant une cohérence à notre existence.
En traitant la mort comme une brisure, on déshumanise encore plus une vie qui transforme l'homme en objet, que l'on déplace, que l'on casse ou que l'on jette au gré de la conjoncture. Et ce "on" lui-même, apprenti-sorcier, sera broyé par la machine qu'il aura contribué à créer et à mettre en place.

Ici, la vie n'apparaît pas absurde. L'homme y a laissé sa trace, comme les animaux sauvages fréquentant les sous-bois laissent la leur, en se frayant un nécessaire passage, sans abîmer le milieu vital.
Ma douce et tendre grand-mère y avait tracé un de ces chemins, un chemin rude et laborieux, jalonné de plus peines et de misères que de joies, sans y perdre la foi et l'espérance.
Elle ne m'avait jamais fait de cadeaux, car elle n'était riche que de bonté et d'amour. Et pourtant elle m'a laissé cet inestimable trésor qu'est le souvenir de cette tendresse joyeuse, de ces vacances passées en sa compagnie dans un parfait accord, sans une ombre d'ennui !

Merci à elle de m'avoir, à sa façon, appris à placer la bonté et l'indulgence bien au-dessus de toute réussite, sociale ou intellectuelle.
"
Cal pas matar tot lo que pica " (il ne faut pas tuer tout ce qui pique), disait-elle dans la seule langue qu'elle ait connue et pratiquée, le catalan parlé sur cette terre depuis de longs siècles.
Mes vingt ans auraient peut-être pu l'oublier, qui sont venus à une époque sans indulgence, au beau milieu de la guerre 1939-1945. Mais ce proverbe était resté en moi, et a lentement cheminé, enracinant au plus profond de ma conscience la vertu de tolérance qui me paraît l'essentiel, dépassant toutes les indignations, les colères et les refus, qui n'ont pas manqué au gré des circonstances.

Dans ce calme petit cimetière du hameau de Prunet, où si peu a changé depuis cinquante ans, sauf la vie lentement en allée avec la dépopulation, reposez en paix "padrina" de mon enfance, dans la paix mais jamais dans l'oubli.

 *

Voici le lien pour entendre une partie de la savoureuse Radioscopie d'Adrienne Cazeilles. L'émission date du 28 mars 1979. (Après avoir cliqué sur le lien, il faut un peu de temps pour le démarrage.)

Et trois livres d'elle :

Quand nous avions tant de racines, éditions du Chiendent.
Alors, la Paix viendra, éditions du Chiendent.
Voyage autour de mon jardin, éditions Trabucaïre.

 *

Dans le jardin des mots.

Tribune libre. (De Nikos Kasantsaki)

Tribune libre par Dominique Bal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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C
voila près de 10 ans que j'ai assisté à la première crémation d'une personne qui m'était très chère et six mois plus tard à la deuxième. Ils avaient choisi de répandre les cendres là, dans la région de Charleroi loin de chez nous. En guise de repère (afin de nous recueillir dans les semaines où les mois à venir nous avons reçu une pastille avec un numéro. Quelle tristesse quand nous les avons abandonné.Quel vide, quel choc .<br /> <br /> Jean Giono a écrit dans le livre les Vraies richesses un passage que je lis régulièrement et qui accompagne les gens que j'aime dans leur dernier voyage.<br /> <br /> <br /> <br /> Extrait des Vraies richesses de Jean Giono.<br /> <br /> Les morts sont morts. Des qu'ils ont passé la porte ,Ils ne peuvent plus servir qu'à des fins naturelles;corps et âme.Ils ne sont jamais utiles à la patrie, mais l'abolition de ta vie sert à ceux qui manœuvrent l'idole: c'est la dénaturation des hommes (même principe pour le blé).<br /> <br /> Ce dont on te prive, c'est de vents, de pluies, de neiges ,de soleils, de montagnes, de fleuves, et de forêts: les vraies richesses de l'homme! Tout a été fait pour toi; au fond de tes plus obscures veines, tu as été fait pour tout. Quand la mort arrivera, ne t'inquiète pas , c'est la continuation logique. Tâche seulement d'être alors le plus riche possible. A ce moment-là ce que tu es, deviens.
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