Des jumelles.

   Je l'entends encore, posté en vigie à une fenêtre : « Viens donc voir ! Par ici, il s'en passe de belles ! »

Qu'est-ce qui se passe ? Où sont donc, s'étonneront certains, les ciels bleu de bleu sur de clairs et riants paysages ? C'est qu'au-delà des clichés, l'œuvre est pleine, à ras-bord, d'heureuses surprises comme ces deux-là ! De plus, sœurs jumelles, de même veine, l'une ayant inspiré l'autre sur une même ligne de front et dans le même esprit, c'est évident. Sans doute également peintes pas loin l'une de l'autre dans le temps, peut-être même à la file, d'un même mouvement d'émotion enthousiaste.

Il s'agit là, à peu de chose près, de deux versions ou de deux séquences, de ce que le peintre - selon le jour et l'heure, le temps qu'il fait - peut voir et vivre en direct de l'une ou l'autre des quatre fenêtres de l'atelier, autant dire qu'il n'est pas allé chercher l'inspiration bien loin : juste sur la colline d'en face, à tout casser à cent mètres à vol d'oiseau ! Donc, cette fois-ci, en direction de l'Est : effectivement, sur la photo du bas plus particulièrement, on reconnaît bien l'endroit où, au pied du rocher, fructifiait la vigne d'Aldo, à l'entrée du chemin des crêtes qui - ici en large courbe - exposé plein sud, était en hiver le promenoir préféré de pas mal de montjustiniens. Seule différence - de taille ! - le peintre y a vu apparaître, sphinx énorme surgissant dans le lointain comme en un mirage ou une hallucination, une grande ville pyramidale telle qu'il les affectionne tant et plus pour leur forte puissance d'évocation, très dense; les plaçant, chacune, sinon immanquablement, tout au moins souvent, en contraste frappant de paysages nus : par exemple en fata morgana fantasmée, interne, psychologique, se découpant sur le ciel des Neiges, de préférence.

La présence, au premier plan, d'un berger immobile tout attentif à son troupeau ramassé en pelote ou peut-être bien paisiblement méditatif en position assise, les brumes dissipées ou se dissipant, cédant de place en place à de larges taches de lumière vive, tout cela suggère une idée de révélation intérieure en train d'avoir lieu, figurée en image éloquente par le paysage métamorphosé, peint de plus, pour cela, en ce sens, sous un ciel de nuit.

Ne sont-ce pas là deux nocturnes authentiques, rêves éveillés d'importance, subtilement induits par le temps qu'il fait en un lieu familier ? Ne sommes-nous pas, en somme, la somme de ce à quoi nous rêvons ?

Beauté des ciels graves en toile de fond, noirs d'encre, en rideau de scène : toutes choses auxquelles Serge y étant, dans le réel, d'un naturel des plus sensibles ne pouvait qu'avoir ensuite grand plaisir à peindre ! Très souvent, il racontait par le menu des spectacles de la nature quand elle est en proie à une véritable transfiguration sous l'effet de certains subits et bouleversants "moments" de lumière; et cela fut la source sûre de bien des œuvres parmi les plus intenses et originales de sa production de Paysages. Ce Fiorio-là est mal connu parce qu'il n'est sans doute pas le plus engageant d'entre tous au premier abord, ni le plus facile à apprécier par la suite sereinement. Y règne forcément une certaine imprévisibilité dans le jeu des éléments naturels, eux-mêmes miroir d'un certain climat psychologique, donc lui aussi instable, hors-norme. Ce qui peut être perçu comme preuve d'un état dramatique et cela n'est pas du tout fait pour plaire en peinture.