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Serge Fiorio - 1911-2011.
Serge Fiorio - 1911-2011.
  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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30 octobre 2015

Initiale rencontre.


Il en est de certaines œuvres  d’art comme des quelques êtres dont nous pourrons un jour  affirmer qu’ils ont véritablement fait route avec nous dans la vie. Si  telle des œuvres d’un grand artiste s’est un jour spontanément présentée à nous, du plus  profond du temps qui l’a vue naître et a su la préserver, n’est-il pas temps d’aller à notre tour à sa rencontre...

Françoise Bonardel
*

   En août 1965 - j'avais dix ans - l'association Les Amis du vieux Banon organise une exposition de peinture à l'église haute, tout au sommet du village.

C'est là un événement comme nous n'en avons pas l'habitude, par sa nature, mais aussi parce que nous, les enfants, nous allons pouvoir enfin pour la première fois pénétrer à l'intérieur de ce bâtiment qui nous intrigue depuis toujours parce qu'il est éternellement fermé et que, par réaction logique, nous rêvons donc, tous et toutes, d'en percer à jour ce qui est devenu pour nous, au fil du temps, le latent mystère. Toutes les plus grosses clés de chez nos parents nous avons bien essayé, l'une après l'autre, de les faire tourner dans la serrure, mais en vain. Alors, c'est à un trou rond laissé dans la porte par un nœud du bois que nous allons tous, à tour de rôle, ajuster parfois un œil grand ouvert pour essayer de recueillir des indices probants.

- C'est tout noir !

Ça  doit sentir l'eau croupie et le rat crevé là-dedans !

Déçus, nous nous mettons finalement les uns après les autres à inventer pour celles et ceux, qui, derrière nous, attendent pour cette raison de nouveau leur tour en se bousculant :

- J'ai vu passer un roi ou quelque chose comme ça !

Et d'y croire nous-mêmes, à l'instant, tandis que dans notre dos, lui, les pieds restés bien sur terre, un copain réplique parfois aussitôt :

- Et ta sœur !

Mais une fois l'œil rivé au trou, lui-même ne résiste pas une seconde au plaisir de se laisser aller au rêve à sa façon et d'y inviter aussi les autres par des trouvailles faites en son propre fonds. Autrement dit, d'autres portes s'ouvraient, merveilleuses; à nous entendre, il y avait là de quoi régaler à la fois Jung et Bachelard, sans compter les poètes !

Comme dans les contes, un beau jour pourtant, une semaine avant le début de l'exposition annoncée, le réel et ce que nous souhaitions vont précisément coïncider puisque quand, tout essouflés, nous arriverons au pied des marches du parvis, la lourde porte rugueuse de bois gris à deux battants nous apparaîtra pour la première fois miraculeusement...grande ouverte !

À l'intérieur, pas de roi, ni de rat non plus, ou de fantômes secouant leurs chaînes, mais une paire d'employés municipaux en bleu de travail occupés à clouer une palissade de planches devant le maître-autel moisi. De leur côté, des bénévoles perchés sur de grands escabeaux rafraîchissent d'un badigeon blanc-bleuté comme du lait, le plâtre des voûtes vénérables. Tous travaillent joyeusement, s'interpellant, sifflotant, dans une humidité de citerne.

Désormais, chaque jour nous viendrons suivre avec attention le déroulement de ces modestes opérations d'embellissement et de réfection, jusqu'au jour J où - comment se peut-il ? - nous arrivons pourtant bel et bien passablement en retard au vernissage, déboulant en nombre et bruyamment en plein discours du sous-préfet Thisy. Après les applaudissements d'usage, le buffet est ouvert. Gosier et estomac également satisfaits, nous nous promenons ensuite devant les tableaux, à la découverte. Il y en a de partout, nous n'en avons jamais tant vus !

 Greuze

Jean-Baptiste GREUZE (Tournus, 1725 - Paris, 1805) La cruche cassée, entre 1772 et 1773. Musée du Louvre.

Et de bien étrangement nouveaux qui nous changent fort de La cruche cassée de Greuze qui trône en permanence, depuis toujours, dans la burlesque boucherie Gondran où, entre autres singularités maison, l'on était parfois servi, en chair et en os - mais toujours en strict habit religieux de son Ordre ! - par la rougeaude Sœur Marie-Félix du Sacré-Cœur sortie tout droit en permission de son couvent de Monaco pour passer ici quelques jours en famille.

Pour ma part, curieusement, je regarde surtout les signatures; mais que je vous explique pourquoi : ma maman, dans son café, ou plus souvent encore « per carriero » , c'est-à-dire dans la rue, aime bien discuter avec les artistes installés dans le coin. Ce qui, entre autre, la marginalise aux yeux de certains villageois se demandant, en toute logique, ce qu'ils peuvent bien se raconter. Moi, cela ne m'étonne pas, je sais combien est riche et vaste son répertoire d'intérêts et de saines curiosités. Aussi, ce à quoi je m'appplique, c'est de repérer leur signature - celle, par exemple, de Colette Millet, nouvellement installée au hameau des Girons, celle de Jean-Jacques Gardenier, résidant au col de Buire, d'autres - pour découvrir ce qu'ils produisent car personne n'en a encore jamais rien vu, sauf ma mère bien entendu ! Quand je découvre, en bas, au ras du tableau ou - il y en avait - de la gravure, une signature connue, alors je lève la tête et, pour ne rien en perdre, j'examine l'œuvre d'aussi près, puis d'aussi loin, que je peux, la jaugeant ainsi selon mes propres maigres critères.

Il y a là, par ailleurs, magistral de toute évidence, un Martel provenant de chez nos voisins garagistes. Martel devant lequel je me trouve subitement confronté à tout le poids et à toute la force immémoriale de l'admirable Portrait de l'oncle Fortuné à qui d'ordinaire, avec les enfants du Mémé, nous tournons résolument le dos pour suivre à la télévision encore en noir et blanc les cavalcades de Zorro maniant son épée !

Portrait de l'oncle Fortuné 1922

 Portrait de l'oncle Fortuné par Eugène Martel. 1922.

Le choc est puissant car c'est bien là un sage que Martel éternise (en douze heures de travail seulement, je le saurai plus tard). Chose étonnante quand on sait qu'il était capable de tourner des années autour d'une toile avant d'y mettre la touche finale et de se décider enfin à signer. Pour l'une d'entre elles, ce fut douze ans ! Il faut dire à la décharge de Martel que, contrairement aux rapides modernes, il travaillait, lui, en esprit, pour l'éternité. Ce qui est tout en son honneur et, par là, en parfait accord avec l'essence et la nature, toutes deux bien particulières, de son art.

Cependant, aussitôt après cette impressionnante rencontre, au détour d'un autre pilier, quelqu'un d'autre m'attend : et cette fois c'est Serge ! Je suis ipso-facto transporté dans le vaste espace d'un désert de rêve, de plus parfaitement enneigé, d'où surgit, bien présent au premier plan, guerrier spirituel ou vigie solitaire, un admirable pied de chardon bleu en guise de perce-neige. Qu'importe alors la très discrète signature que je n'ai même pas eu le temps de lire puisque tout a disparu sur-le-champ, tout d'un coup évaporé : les copains et les copines, le reste de l'exposition, jusqu'à l'église pourtant assez massive dans laquelle nous nous trouvons ! Tout cela laissant entièrement la place, et il la faut toute, à la sensation numineuse d'être plongé corps et âme dans un inexprimable haut pays, connu, ami, que ce peintre-là, pourtant, exprime là si bien à sa manière. Et ce Fiorio, le premier, fut mon sésame pour l'œuvre en entier, ce qu'on peut aujourd'hui en connaître !

IMG_4073Photo A. L

Me reste encore aussi en mémoire, mais cependant en annexe, cette étrange phrase entendue alors par le dedans, sans doute inventée par esprit d'à propos et à brûle-pourpoint pendant mon extase : « C'est uniquement le jour où les portes s'ouvrent en grand qu'apparaît le mystère. » Allez savoir !

 

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