Le moine au travail.
Après que Serge eut peint son portrait en 1934, Giono lui avait écrit tout un chapelet de lettres pleines à ras-bord de recommandations sévères, dont dans l'une d'elle, celle-ci : « Quand tu peins, sois exactement comme un moine. » Mais, enthousiaste au sens premier du mot, il y avait déjà bien longtemps que Serge, en peinture, était possédé de son dieu !
Et combien de personnes sont entrées dans cet atelier ! Combien y sont revenues par la suite chaque année ou plus souvent encore, sacrifiant au "rite de passage" de « la visite à Serge », ne pouvant finalement, sans jeu de mots, plus s'en passer, vendant aussi la mèche aux amis, aux voisins, ou bien une génération passant, aussi bien, le relais à l'autre ?
Oui, ce sont des foules entières qui ont défilé chez lui au fil des années, au compte-goutte certes, mais sans jamais tarir et encore moins discontinuer. C'est qu'il n'était pas nécessaire d'être acheteur, même pas éventuel, pour avoir ce privilège, accordé à toutes et à tous sans exception, de pouvoir « monter » et parfois le voir peindre. Pas nécessaire, non plus, d'avoir auparavant écrit ou téléphoné. Il suffisait amplement d'avoir rencontré et fait causette avec l'un des membres de la tribu Fiorio, avec Serge lui-même par-dessus le mur de son jardin, ou, sinon, de se présenter tout simplement à la porte et d'y appliquer à la lettre le Sonnez fort inscrit là, sur une plaque, à côté d'une chaînette.
Une fois dans le haut lieu de l'atelier sous les toits ouvert sur trois côtés, les langues se déliaient devant la peinture. Nombreux, cependant, restaient debout, immobiles, non pas le bec cloué mais bien plutôt bouche bée. Parfois aussi, un certain suspens s'installait soudain pour les plus timides, craignant peut-être de mal s'exprimer ou ne sachant pas trop quoi dire spontanément à un Serge Fiorio qui, bien malgré lui, souvent les impressionnait. Avec ceux-là, Serge savait y faire : il entamait la conversation, parlant de tout et de rien - sauf de ce qu'ils avaient sous les yeux tout autour d'eux - pour les libérer quelque peu de l'entrave de leur travers. Il leur disait :
-Ah, vous avez des vaches ? Et combien ? De quelle race ? J'en ai eu moi aussi.
-Vous venez d'Apt ou de Manosque ?
Que sais-je... Et le contact s'établissait vite, le courant passant alors le plus simplement du monde, permettant la conversation pendant que le ou les visiteurs faisaient connaissance avec l'œuvre.
Pour ma part - adolescent assez sauvage - mes toutes premières visites, je m'en souviens, étaient des plus expéditives malgré qu'à chacune je sois - déjà ! - toujours autant grandement fasciné par le puissant mystère de cette peinture et passionnément curieux de la forte personnalité de son auteur. Serge me les avaient un jour résumées ainsi, tout sourire : « Rien n'y faisait, une fois devant les tableaux, tu te mettais à pousser quelques étranges grognements incongrus et puis, là-dessus, tu tournais instantanément les talons vers la porte de sortie pour enfourcher ta mobylette et foutre aussitôt le camp en vitesse ! Mais, signe qui ne trompait pas, tu revenais par contre régulièrement. »
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