Ce peintre d’origine piémontaise quitta sa Suisse natale, puis la Savoie en 1947, pour s’installer et finalement vivre un peu plus d’un demi-siècle, dans le haut-perché village de Montjustin à peu près en ruines à l’époque, sis dans le Luberon entre Apt et Manosque. Il avait nom Serge Fiorio.
Giono, qui n’était pas son cousin mais celui de son père Emile et qui l’aimait beaucoup, lui mit le pied à l’étrier en 1934 en lui demandant de peindre son portrait. Un portrait devenu vite célèbre et qui contient déjà, concentré en arrière-plan, le monde du peintre juste avant son big-bang. « Je pense qu’en me commandant son portrait, Giono savait pertinemment que c’était là le chemin le plus direct pour m’ouvrir toutes grandes, les fenêtres de ma propre liberté d’artiste » confiera-t-il.
La peinture de Serge Fiorio est intemporelle. Elle nous donne à voir les travaux et les jours ordinaires au fil des saisons, dans des paysages de collines partant à l’assaut du ciel, à moins que ce soit l’inverse. Et aussi des scènes de carnaval et de fêtes foraines. Quelquefois un voilier appareille sur un nuage ou bien tout un pan de vignoble s’échappe d’une futaille pendant que le vigneron fait sa sieste : c’est que, comme dans la vraie vie, on est toujours en pleine fantasmagorie si on y prend bien garde.
Et dans cet univers fermé à la laideur, dans un vibrant chromatisme aussi nécessaire et implacable qu’une partita de Bach, Serge Fiorio entonne la musique du monde et des gens : passage du vent dans les peupliers, craquement de la neige sous le sabot du cheval, flonflons de carnaval et, plus fort encore, si j’ose dire : le silence. C’est que nous touchons, dès le premier regard aux confins mêmes de la poésie et là, basta, c’est au spectateur de laisser jouer son imaginaire car comme le confiait Fiorio, « Chacun de mes tableaux raconte quelque chose ».
André Lombard, son exégète qui était aussi son ami, a déjà consacré deux beaux ouvrages à Serge Fiorio (1) et il a créé un blog grâce auquel chaque semaine, le peintre continue de nous donner de ses nouvelles (reproductions de tableaux, lettres, photos, témoignages…)
Dans Habemus Fiorio, il nous fait entrevoir le « prodigieux mystère qu’est cette intercession du rêve en faveur du réel » (selon l’heureuse formule de Gérard Allibert). Et pour approcher les arcanes de l’univers de Fiorio, il procède par itérations subtiles et pas de côté décrivant son environnement aimé et convoquant les illustres (Cocteau, Picasso, Clergue, Lanza del Vasto, Luc Dietrich, Henri Cartier-Bresson) et les proches (les poètes Lucienne Desnoues et Jean Mogin « dont le théâtre et la poésie étaient, de façon quotidienne, véritablement le pain et le vin de leur commune vie d’artiste ».
Procédant ainsi par petites touches, de façon capricante, se dégage peu à peu le portrait d’un homme qui a voué toute son existence à un art qui par là même, selon l’auteur, a quelque accointance avec le sacré. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, le livre d’André Lombard n’a rien de celui d’un dévot compassé ! Il déborde de vie et de rires. Il faut lire l’arrivée de Serge Fiorio à Montjustin, la scène de commedia dell’arte avec ses voisins poètes ou celle du passage du flamboyant Delteil pour mieux saisir tout à la fois le bonheur de vivre dans le Deep South français et celui d’admirer les toiles d’un grand peintre.
(1) Serge Fiorio préface de Pierre Magnan.(Ed Le Poivre d’âne) et Pour saluer Fiorio (précédé de Rêver avec Serge Fiorio par C.-H.Rocquet) La Carde éditeur.