Chaque tableau...

    « Chaque tableau possède sa propre destinée. » Cette déclaration, dans un courrier, de mon ami Satoru Yamamoto invite à méditer, non seulement sur le sens particulier des œuvres, mais sur leur chemin même, leur trajectoire respective, leur devenir, autant dire leur destination ou prédestination en ce monde. Pourquoi pas aussi, puisque nous y sommes et parce qu'inhérent à leur nature, sur leur pouvoir ?

Certaines personnes choisissent certains tableaux, les préfèrent à d'autres ; mais peut-être que l'inverse est également possible : certains tableaux élisant, qui sait ?, certaines ou certains d'entre nous — chose plus courante, peut-être, qu'on ne l'imagine. Ce qui ne relèverait pas pour eux, certes, d'une intelligence automne, mais prêcherait pour l'existence, par contre, de tout un réseau fourmillant de longueurs d'ondes qui régiraient la circulation générale, et donc, par voie de conséquence, créeraient les rencontres entre les œuvres et celles et ceux qui en reçoivent illico le coup de foudre ou simplement les croisent sur leur chemin, donnant, selon certains points sensibles communs, ou peut-être même opposés, la priorité à l'un, à l'une, ou bien à encore une autre personne.

Les tournures d'esprit, les secrets bien gardés, les drames, les bonheurs d'une vie, la psyché toute entière, on ne peut le nier, émettent tout autour de nous des signaux subtils. Les tableaux aussi expriment des choses ineffables au-delà du sujet, c'est là leur nature première, tantôt réfléchissante à la manière d'un miroir ou bien directement illuminante, parfois alors jusqu'au pays de l'âme. Quoi d'étonnant donc que des coups de cœur aient lieu, des joies, des révélations subites, comme, aussi bien, de vagues malaises ou de fortes angoisses, toutes sortes d'impressions montant à la surface de la conscience, quand attentivement, s'en imprégnant de tout notre être, nous dialoguons avec ou les regardons vivre sous nos yeux ?

L'une des nombreuses palettes de Serge. Années 2.000. Photo Jacky Michel.

Photo X, droits réservés. Passablement édifiant sur l'art de peindre de Serge que ce voisinage des couleurs brutes et en vrac sur la palette avec l'œuvre très rigoureusement achevée.

Et tout cela, au petit bonheur la chance ? Non, je ne le crois pas. Tout se tient, au contraire, entre nous et les autres, entre nous et le monde, œuvres d'art y compris. Le monde déborde de sens que la plupart du temps nous ne savons aujourd'hui, au mieux, qu'entrevoir et oublier aussitôt à toute vitesse, mais que, pour nous, heureusement, les artistes captent ou devinent, eux, avec assurance.

D'autre part, par leur créations, ces derniers ne sont-ils pas, à part égale avec les vieillards et les enfants, ceux qui alimentent le mieux, c'est-à-dire le plus efficacement, la réserve de méditation du monde où tous nous pouvons, au besoin, puiser à tout moment sans vraiment consciemment nous en rendre compte ? C'est là, me semble-t-il, l'une des caractéristiques principales de l'œuvre d'art véritable : le secours apporté à l'humanité de par sa dimension purement spirituelle.

Ne dit-on pas très clairement d'une œuvre qu'elle nous ressource ?

Car l'art est effectivement l'un des plus puissants remèdes qui soient contre la maladie rationaliste, aujourd'hui hélas si répandue, endémique en de bien trop nombreux domaines. Telle œuvre nous touche, et peut guérir, non pas par le biais d'arguments irréfutables pour tous - loin de là ! - mais plutôt individuellement, sur mesure, au cas par cas, souvent par petites touches, à demi-mots insondables ou même tout d'un coup, alors comme par magie.

Heureux les amateurs d'art !