Une heureuse question !
C'est mon ami Christian Bernard qui, cet hiver - tandis que je lui annonce que la neige est là, tombée chez nous cette nuit tout à fait en douce mais, par contre, en abondance -, me pose en retour la question en forme de formule magique : La neige a-t-elle transformé vos collines en tableaux de Serge ? On sent, en écho, qu'il en a envie, envie aussi, au cas où, que je lui raconte et même, parce que chez lui il n'a sans doute pas neigé cette fois, qu'en fait, l'imaginant, et peut-être aussi un peu secrètement envieux, il rêve lui-même en sourdine de ce spectacle !
Étonnant phénomène que celui de la puissance créative des mots par qui le miracle opère, puissant pouvoir transformant du langage, tout autant que l'est, lui, tout à fait au diapason - tout en silence et en recueillement - celui de la peinture de Serge quand elle est elle-même sous la neige ! Oui, du coup, sensible et donc impressionnable, le regard se change en celui, unique, du peintre : c'est vrai, de ma fenêtre et, me promenant dehors, tout autour de moi, d'où que je me tourne, tout est alors hiver Fiorio, à perte de vue ! Grâce à l'allusion suggestive contenue en cette petite phrase doublement amicale !
C'est sans doute, parce qu'immatériel, que l'esprit d'une peinture - celui de celle-là en particulier - est doté d'effets réellement puissants sur les sens, et en partie hypnotiques : à peine évoquée en regard du réel, cette peinture s'y transporte pour nous illico et l'investit sur-le-champ, le chargeant, de plus, de la puissance magique d'un charme - qui n'est autre, bien sûr, que sa poésie.
Mais pour que cela ait lieu, se produise, il semble - la famialiarité aidant - qu'il faille, sans toutefois le vouloir très consciemmment, savoir user spontanément d'un certain lâcher-prise, mettant ainsi à profit, sans l'aliéner ni même l'altérer aucunement, une bonne part de notre liberté d'esprit. Se laisser librement impressionner n'est justement peut-être pas si simple ni si facile, pas donné, non plus, donc, à tout le monde, puisque réellement nombreux sont celles et ceux qui n'arrivent toujours pas à s'ouvrir assez pour goûter aux plaisirs sains et stupéfiants, aux bienfaits revigorants pour l'âme, de la bonne peinture - qui en rien les étonne. Seules les remuent un peu les "œuvres" dégoulinantes d'un affreux pittoresque, ou bien, à l'autre bout du spectre - en fait, selon leur niveau social le plus souvent - les innombrables absurdités dégradantes à la mode contemporaine : les deux principales catégories, les deux mauvais genres, navrants - et bien plus que cela ! - dont la production, si peu artistique, est, hélas, aujourd'hui la plus courante.
Arriver à VOIR, vaste et interminable programme que celui-là, impossible à parfaire, qui ne tient qu'à un fil, certes, mais...fil d'Ariane, et solide au possible une fois qu'il est saisi !