S'apaiser, reposer pied sur terre... par Gérard Allibert.

S'apaiser, reposer pied sur terre ...

   Le réel parfois vous colle salement à la semelle. C'est l'hiver du monde. La nuit soudain est tombée trop vite. Vous-même pensiez être encore sur le chemin, mais non, vous en avez subitement la sensation avant d'en être véritablement convaincu : vous voilà égaré.

À cet instant vous réalisez avoir perdu le toucher des choses sûres, leurs présences rassurantes. Celle du bois issu du feu, et celle de la pierre, née de l'eau. Vous vous entendez vous dire : « Où me suis-je trompé ? »

Vous regrettez d'avoir faussement présumé de la persistance du jour (dont vous n'êtes cependant guère responsable) et surestimé votre sens de l'orientation (mais de cela, vous le savez parfaitement, oui vous l'êtes) Vous voilà tout crotté.

Le retour du jour. Et celui de la lumière. Comment les retrouver ?

 ...

Sur le mur de gauche (lorsque vous faites face à ce personnage majestueux dont Patrick Boucheron hypothèse* fort justement, me semble-t-il, qu'il est l'allégorie du Bien commun) sur ce mur, les horreurs de la guerre.

La violence et le crime, le pillage et le viol, le brasier et le sang répandu.

Mais sur son pendant à votre droite, peint par le même Ambrogio Lorenzetti à Sienne en 1338, la présence sans prétention du quotidien. Pourtant la lumière du jour est là toute entière.

Le terreau de la vie.

La Paix.

Effetti del buon governo nella città - Ambrogio Lorenzetti- Palazzo publico - Siena

Vous étiez perdu et voilà la fresque ancienne de presque 800 ans.

Et voilà maintenant ce Manège à la Rochegiron peint hier. Ou presque.

C'était en 1986.

Serge Fiorio - Manège à la Rochegiron

Au second plan, celui de l'avenir, à gauche et à droite de la toile, deux tours ajourées d'une mystérieuse fenêtre.

Celle qui habite là se nomme Blanchefleur.

Ou alors c'est Angelo.

Ces tours percées d'un cadre romanesque sont innombrables dans l'œuvre de Serge. L'historien nous dira qu'elles sont de nature romane, le géographe (celui instruit à l'université du Petit Prince) nous assurera qu'elles sont toscanes avant tout.

Nous revoilà à Sienne, d'un seul pas de côté.

La lumière et le jour.

Au premier abord, celui de l'aujourd'hui, le manège qui tourne. Car le temps n'est jamais immobile. Sauf par la grâce du poète. Ou celle d'un peintre.

Regardez, ce sont les chevaux qui sourient !

L'assemblée réunie sur le forum villageois. Jour de fête (le facteur à cheval sur la barrière est lui légèrement hors du champ de notre vision)

Jour de fête, et jour de paix.

C'est un prodigieux mystère que cette intercession du rêve en faveur du réel.

Vous venez à l'instant de reposer pied sur la terre ferme.

Nous voilà rendus à la vie.

G.A

* Du verbe hypothéser, cela va se soi, bien entendu   :-)

Cf. le très beau livre de Patrick Boucheron, éditions du Seuil 2013 :

Essai sur la force politique des images - Sienne, 1338 - CONJURER LA PEUR.   

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