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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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7 décembre 2014

Giono et la peinture.

   Très sensuelle entre toutes, la littérature de Giono est, il me semble – en-dehors de la musique du style – avant tout visuelle. Donc, par là, proche parente de la peinture. 

L'écrivain manosquin est pour moi – je ne suis pas le seul, n'est-ce pas ! – un maître incontesté de l'image hautement efficace, éclatante et lumineuse comme un soleil, irradiante, ou bien gravée en creux, en forme de constellation révélée plus en douce dans le ciel d'encre de la page.
Certains courts chapitres ou autres longs paragraphes me paraissent être des tableaux parfaits, aboutis – surtout des Paysages – à part entière. À tel point qu'ils pourraient être détachés du livre et lus à part pour eux-mêmes, sans que cela ne pose le moindre problème. Il en est ainsi des premières pages des Âmes fortes où tous les participants à la veillée mortuaire prennent place, à mesure de leur arrivée, dans un véritable Intérieur tout à fait à la mode rustique d'Eugène Martel, dans l'esprit même de la peinture du peintre du Revest.
Voici un autre exemple que j'aime, celui-là tiré du Chant du monde : « Au-delà, sur le tranchant de la colline, était une grande ville très vieille, blanche comme un mort. Des lauriers sortaient des décombres ; ils voletaient lourdement sur place dans les maisons écroulées en frappant les murs de leurs ailes de fer. En bas, le fleuve bouillonnait sous un pont sombre et la ville entrait dans les eaux par un quai vertigineux tout ruisselant d'une sorte de sanie gluante et mordorée. Sur ce mur qui surplombait le fleuve séchaient de larges peaux de bœufs écarquillées comme des étoiles.
Des tanneries aux tuiles grises se gonflaient dans l'entassement blond des écorces de chênes moulues. Le battement sourd des foulons ébranlait les profondeurs sombres de la terre avec le bruit d'un gros cœur chargé de sang. La ville aux murs bas constellés de peaux de bêtes échelait à la colline dans la laine de ses fumées. Le souffle épais, tout pailleté de braises, d'un four de boulanger sautait avec ses molles pattes d'ours de terrasse en terrasse. Plus haut, de très vieilles maisons osseuses, fleuries de génoises et de pigeonniers, émergeaient. 

Chateau enneigéPhoto DD

À de larges fenêtres partagées par des croix de pierre apparaissait la tête sévère des arbousiers qui avaient poussé à travers les planchers. Quand le poids des nuages étouffait le bruit des foulons à tanner, on entendait chanter la ville haute. C'était comme un bruit de forêt, mais avec des ronflements plus longs. Le vent se tordait dans les salles désertes, les corridors, les escaliers, les caves profondes. Le vent mourait ; le chant n'était plus que le frémissement d'un tambour ; alors les longs canaux de bois dans lesquels on faisait couler l'eau sonnaient comme des flûtes. Puis, le nuage se relevait et le battement des foulons recommençait à lancer dans les cavités de la ville le tremblement des taureaux abattus. Une odeur d'écharnage, de tan, et de vieux plâtre giclait sous la main plate du vent. 
Sur tout son corps, la ville portait de longues balafres noirâtres de la pluie. Derrière elle, d'énormes montagnes violettes gonflées d'eau dormaient sous le ciel sombre. »

Par ailleurs, Giono n'écrit-il pas : « On peut faire le portrait d'un caractère en faisant le portrait d'un paysage » ? Déclaration par laquelle – chaussant un instant grâce à elle les lunettes adéquates à la création artistique – on peut tout d'un coup voir en grand angulaire et surtout, si je puis écrire, à perte de vue !
Il était donc tout indiqué que quelqu'un se penche avec passion sur les rapports de l'artiste écrivain avec ses homologues peintres, sur les dialogues des diverses œuvres entre elles, leurs correspondances internes et leurs connivences. Depuis 2010, c'est chose faite ; en cours plutôt. Michèle Ducheny répertorie, classe, commente et trouve ; tout en mettant son déjà robuste Giono et les peintres à jour au fur et à mesure, au fil de ses découvertes et selon ses nombreuses trouvailles plus personnelles. Son ouvrage en est à la cinquième édition revue et augmentée. 

« Le sujet est en or ! » me direz-vous, mais reconnaissons qu'il est de taille ! Le travail à fournir est sans doute impossible à parfaire – et pour cause ! – se trouvant par nature sans bornes sûres et certaines, définissables.
L'auteur le dit elle-même : « Je considère d’ailleurs évidemment que mes recherches ne sont pas terminées. Le seront-elles jamais ? Si vous avez des précisions à me communiquer, ou des remarques à formuler, n’hésitez pas à prendre contact avec moi (mich.ducheny@skynet.be ou plutôt mich.ducheny@gmail.com) ».

Mais Michèle Ducheny est passionnée et, comme tous les passionnés, courageuse : par décision personnelle, elle embarque d'entrée, très tôt, avec Bruegel, non sans détours ensuite, chemin faisant, par le Trecento et le Quattrocento, remontant au besoin aux œuvres pariétales. La belle sensibilité de Giono à la peinture la lui fait aborder – mais sans le vouloir consciemment – comme la construction, au fil du temps, d'un miroir intérieur aux multiples facettes, de quelque époque qu'en soient les œuvres qu'on trouve dans ses éloges, ses rêveries, ou ses commentaires personnels. Chaque fois, nous pouvons l'y reconnaître chez lui, tel qu'en lui-même.

Les impressionnistes ne semblent pas avoir touché tant que ça le maître de Manosque ; c'est très surprenant de sa part, lui d'ordinaire extraordinairement sensible aux matières comme aux diverses qualités de la lumière. Là, je ne le comprends guère, et même je ne le comprends pas. Peut-être est-ce là, chez lui, l'exception qui confirme la règle, comme on dit.

J'ouvre ici une courte parenthèse pour dire combien j'ai été heureux dernièrement de trouver mentionnés dans la très officielle page Wikipedia consacrée à Matisse, les noms d'Eugène Martel et de son cher ami Simon Bussy comme ayant été ses condisciples à l'atelier de Gustave Moreau à Paris. Ceci dit parce que le purgatoire subi depuis trop longtemps maintenant par l'œuvre du peintre du Revest n'est plus, à mes yeux, un purgatoire, mais bien un véritable enfer. Que l'œuvre magistrale de ce peintre classique de haute école ne mérite pas.
Son plus gros défaut ? Avoir su peindre sans doute ! 
Et comment ! Je crois aussi que la profonde humanité contenue en son œuvre n'est pas bien, non plus, au goût du jour. 

Autoportrait d'Eugène Martel

Dernier Autoportrait d'Eugène Martel, 1944, dont son amie Marthe Savon-Peirron écrit : « De cet ultime autoportrait d'un très vieil homme je garde une impression de jeunesse. De petite dimension, il est sans mesure de par sa libre perfection dans le métier, une beauté expressive et une luminosité qui laissent sans voix, heureux d'un étrange bonheur, léger, hors du temps ».
Martel avait repris ses pinceaux, abandonnés depuis plusieurs années, pour offrir cette œuvre ultime à l'aubergiste Bonniol qui avait toujours bien pris soin de lui au Revest tout au long de sa vie d'artiste célibataire. Il s'agit donc là d'une sorte d'ex-voto, en remerciement d'estime et de services rendus, en même temps que la dernière image de lui que Martel voulut laisser parmi les siens. Comme une clé volontairement laissée sur la porte, en partant. C'est avec une grande émotion dont je me souviens encore fortement que j'ai tenu un jour ce très pur chef-d'œuvre entre mes mains.

                                                                                              
Dans Giono et les peintres, la chronologie prend peu à peu, au fil des pages, son propre ordre de marche et son rythme de croisière en s'avançant jusqu'aux peintres dont l'écrivain fut le contemporain ou ceux, très nombreux et parfois de première force, qu'il connut personnellement : Soutter, Jacques, Martel, Buffet, entre autres. Notons que l'abstraction n'était pas de son goût, pas plus que ce qu'on nomme encore aujourd'hui Art contemporain.

Michèle Ducheny fait la part belle à Serge et les pages qu'elle lui consacre s'appuient sur des documents de première main, incontestables, des enquêtes bien menées, consciencieuses, ainsi que sur des réflexions ou déductions perspicaces.
Plus que le fait d'être cousins par le sang – pas directs – ce qui fait leur parenté profonde, authentique, véritable, est bien évidemment celui, supérieur, d'appartenir l'un et l'autre, et au même titre, à la même famille d'esprit où le peintre est poète, et inversement. Là, ils étaient et restent très proches, autant que de toute éternité Montjustin l'est, à vol d'oiseau, de Manosque !

                                    Colombe du portrait de giono                                             

L'oiseau n'étant pas n'importe lequel, mais une belle et puissante colombe blanche aux épaules de lutteur ! Ils sont aussi reliés par l'étoile à cinq branches dont, jeunes encore, dans les années trente, ils aimaient rivaliser de bon matin en la dessinant chacun de la main qui lui était la moins familière – sans doute pour court-circuiter les divers parasitages acquis par l'habitude et retrouver ainsi – qui sait ? peut-être ! – dans cet exercice quasi enfantin, amusant et provocateur, une part de la fraîcheur première du tout premier matin ! 

       Etoile 1934
Une étoile, unique dans le ciel, que Serge retranscrira un temps dans maints de ses tableaux. 

Mais ce qui est caractéristique au plus haut niveau, Pierre Magnan l'exprime en une phrase magistrale mise justement en exergue de son Pour saluer Giono : « Je dédie ces souvenirs à Serge Fiorio dont l'œuvre peint respire à la même hauteur que l'œuvre écrit de son cousin Giono ». Qui dit mieux ?

Maintenant, je vous renvoie directement à Giono et les peintres.  

 

Quelques autres liens :

UN AUTRE POÈTE DE LA FAMILLE

Vive les journées du patrimoine !
Journées du patrimoine : zou maï !
À propos d'une réflexion de Giono dans son Journal de l'Occupation
Revue Giono. Hors-série Eugène Martel, 230 pages
Instinct nomade n°10 : spécial Giono
Giono : le vrai du faux
FIORIO-GIONO
Giono, le doigt dans l'œil !
À chacun son Giono !
Fiorio-Giono, la récolte des olives !
Colette évoque Giono dans Flore et Pomone

Une lettre du cordonnier Jean-Antoine Giono à son neveu le maçon-carrier Émile Fiorio

Prix Jean Giono : le jour d'après ?

 UN AUTRE POETE DE LA FAMILLE
Le premier Giono a bien plus qu'un accent, et alors ?
Fiorio en son magistral portrait de Giono à l'étoile et à la colombe

Giono au Mucem. Inédite, une somptueuse illustration pour une scène majeure d'Un Roi sans divertissement

Giono au Mucem : contrepoints

À propos du fameux et sempiternel peintre-naïf-cousin-de-Giono

Le premier portrait de Giono. 1
Le premier portrait de Giono. 2
Le premier portrait de Giono.3
Le premier portrait de Giono. 4 (suite et fin).

Portrait d'Aline Giono enfant au lavis d'encre noire

Les tribulations du premier Portrait de Giono

 *

 Texte de Marthe Savon-Peirron à propos de la peinture de Serge
Images d'Eugène Martel par son ami Maxime Girieud

 Présentation de Serge Fiorio et de sa peinture par Eugène Martel.1942

 Précisions relatives à présentation de Serge Fiorio et de sa peinture par Eugène Martel,1942

 Une lettre d'Eugène Martel

 Martel et Bussy. Autour de deux portraits de Raoul Martin enfant

 Eugène Martel et Simon Bussy au Contadour

 Texte de Serge sur Eugène Martel

 Un autre témoignage de Serge concernant Eugène Martel

 Eugène Martel peint par son ami Simon Bussy

 Martel, de nouveau

 

 

 

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