Pour le lancement du Poids du Ciel !
Entendre Serge rappeler, à l'occasion, que son tableau — le premier portrait de Giono, peint en 1934 — avait servi, en 38, au « lancement du Poids du Ciel » me faisait à chaque fois un drôle d'effet !
Je ne pouvais m'empêcher de voir surgir devant mes yeux un Hercule en action, pivotant un peu sur lui-même pour s'aider ainsi à lancer une énorme boule — bleue ciel, bien entendu — tenue contenue jusque-là dans sa main de géant au niveau de son cou, l'autre bras démesuré s'allongeant devant lui en direction du futur point de chute situé dans des espaces plus infinis encore que ceux dans lesquels s'illuminent le soir les constellations ! Cela, tout en essayant d'imaginer, bien évidemment en vain, la planète-univers où ce projectile fabuleusement de taille pourrait bien aller ensuite tomber et lamentablement s'écraser ! Ce qui faisait invariablement tourner mes efforts d'imagination au cauchemar pur et dur, inhumain.
Par contre, plaisantant aujourd'hui là-dessus en moi-même, je me dis qu'effectivement il fallait bien toute l'énergie d'un poète au moins de la trempe de celui dont, au printemps 34, Serge avait, dans son bureau même, à Manosque, transfiguré l'image quotidienne, familière, en en faisant un véritable démiurge, pour s'attaquer à pareille entreprise co(s)mique !
Farfouillant dernièrement, comme j'aime le faire de temps à autre, dans les arcanes d'Internet, je suis tombé sur ce document d'époque comportant un texte d'André Billy, alors académicien Goncourt. Il est à lire, s'agissant d'un mélange d'erreurs, de belles choses et aussi de belles niaiseries sur le sujet. Je m'explique : premièrement, l'œuvre de Serge dont il y est question n'est en aucune façon une aquarelle, comme il y est écrit, mais bel et bien une huile, et l'une des plus fortes, des plus puissantes, malgré les vingt-trois ans du peintre — ou peut-être bien grâce à eux !
« L'œil large et bleu rempli de rêve » En effet ! et là est peut-être bien l'essentiel de ce portrait en buste : dans ce regard extraordinaire de poète que lui a peint Serge sur la figure, dans ce bleu lumineux des yeux en contraste frappant avec le bleu profondément sombre et, plus que cela, ténébreux et nocturne, de la veste. Pourquoi pas — comme l'écrit Billy justement — « une vareuse de marin » ! puisqu'en 1938, la traduction de Moby-Dick et Pour saluer Melville s'annoncent tous les deux, l'un près de l'autre, sur la ligne d'horizon des œuvres à paraître de l'écrivain : prescience du peintre, dès 1934 ? J'y crois volontiers, les peintres sont des voyants de première, se servant, non au petit bonheur la chance, mais bel et bien à bon escient, dans la boule de cristal de leur art. À de nombreux de points de vue, un portrait — surtout un portrait — n'est jamais innocent ! Comme qu'elle soit représentée, la personne y est toute entière : passé, présent, et avenir compris ! Faut seulement savoir, à son tour, décrypter les signes !
« Vaste entreprise ! » me direz-vous. Dans certains cas, pas forcément.
Pour le reste, il s'agit d'une énumération honnête, pour le décrire, du contenu de l'œuvre. Cependant une chose frappe encore : mettre sous la même sempiternelle étiquette de naïf les primitifs italiens, Giono, et finalement Serge lui-même, c'est là la preuve que la peinture n'était pas tout à fait son affaire à ce Monsieur Billy !
Cerise sur le gâteau, comme on dit, il termine son petit texte en beauté par : « C'est charmant... » !
Dommage qu'il soit mort et enterré, il y aurait encore de quoi aller lui tirer volontiers un peu l'oreille à ce brave académicien !
Ce portrait fit aussi, un temps, grâce à Aline Giono, la merveilleuse couverture sur mesure du Noé de son père dans la collection Folio. De sa création en 34 dans le bureau de Giono au Musée du Vieux Château à Laval, (Musée Henri Rousseau) qui l'abrite aujourd'hui dans sa galerie de Portraits, cette toile a toute une histoire mouvementée que je me propose de raconter un de ces jours ici même. Elle en vaut largement la peine !
Le CEP d'OC et ESMAI PROD proposent
Et encore, de notre ami Bernard Baissat :
Bonjour,