Manège.

   Somptueux Manège, très dense, que Serge a eu, de toute évidence, un grand plaisir à peindre ! Tout y célèbre la communauté humaine en fête, en une fête de couleurs.

Photo Hubert  Marcelly.

Le peintre en pleine possession de ses moyens y crie visiblement victoire sur le fameux ennui pascalien par la même accumulation d'accords, d'heureux détails, de trouvailles de toutes sortes, de rêves en partance, que l'abondance des énumérations d'états négatifs que nous sert le grand philosophe pour illustrer sa célèbre réflexion en forme de mise en garde. 

Jean Mogin, le poète ami de Serge écrit lui aussi dans le même sens, dans son poème Le dedans :

Dans le dedans de l'homme

Ça ne ressemble pas,

Ça ne ressemble à rien d'ici,

Dans le dedans,

C'est différent, tout différent,

Cela n'a rien à voir, c'est un autre séjour,

Une sorte de ciel, une façon d'enfer,

Infiniment petit, infiniment plus vaste,

Infiniment serré, infiniment ouvert,

Etroitement tissé et largement désert,

Aveuglément peuplé et pourtant solitaire.

Dans le dedans de l'homme

Il n'est que grande nuit comme dans les espaces,

Il n'est que froid mortel, que silence strident,

Dans le dedans de l'homme il y a grand péril.

« Seul celui qui reste seul...» semble, par contre, nous dire ici le peintre en rapprochant les gens entre eux et aussi les manèges ; concluant — en filigrane des couleurs les plus vivantes — que l'on n'accède jamais au bonheur, fut-il le plus simple et le plus éphémère, encore moins à la moindre paix intérieure, en se triturant le nombril en solitaire sans jamais se perdre de vue dans la glace ! Il nous faut sortir de nous-même, nous dépasser : en somme s'oublier pour naître à nouveau, renaître ! Et plusieurs fois sans doute, ne pas hésiter une seconde à recommencer à mettre un pas devant l'autre avec confiance malgré les échecs ! Ce que finalement rate Langlois, le personnage de Giono, qui après avoir saigné l'oie domestique dans la neige pour s'auto-hypnotiser, se dynamite ensuite de façon grotesque, menant ainsi l'ennui pascalien à son terme, ou plutôt le faisant, comme un saumon, remonter à sa source pour y pondre, se perpétuer : tragique absurde dans toute sa splendeur, auquel Serge toute sa vie a toujours — par heureuse nature, j'en conviens, mais également par pure volonté très consciente — opposé la persévérante (par là, fructueuse et féconde) culture de l'enthousiasme, au sens le plus grec du terme. A quatre-vingt-dix pour cent, son œuvre de peintre en est le fruit, sagement mûri au soleil intérieur.

Aussi, les chevaux de bois s'animent alors pour lui en bêtes fabuleuses et emportent ! tel ce grand cheval bleu-noir, du coup en rien psychopompe malgré sa couleur.

Comments

[Ismael]

Cher André,



Comme convenu, nous camperons donc :-)



... et ne me laisserai alors pas entraîner à mon tour à croiser le fer (je n'ai pour sabre qu'une donquichottesque cuillère de cuisine en inox et à manche long) à propos de ce Giono "parieur" dont tu fais la matinale hypothèse (Voire un peu plus !)



It's a point of view, and so it's inattaquable (et lycée de Versailles)



But, si je rends (ici !) les armes (que je ne possède donc pas) je ne suis cependant pas mécontent de cette escarmouche en rase campagne qui t'a surpris au campement ... et en pyjama ! Test réussi : tes réflexes fonctionnent même à froid !



Sinon, quand même (:-)) un mot plus que rapide (tant que j'y suis) sur ce ... ou plutôt sur CES manèges.

Deux toiles de ciel, une rouge magnifique (avec ses attributs de plume de paon) et l'autre bleu profond, lapis lazuli peut-être. Ici et là parures sans nuage de l'enfance. Serge Fiorio : peintre de l'Age d'or ...



On notera tout juste que ces deux manèges tournent en sens inverse ("on ne peut pas être d'accord sur tout" :-) ) mais, pour les participants à la fête, le plaisir du jour est le même.

[Achab]

Cher D:) d:)



On ne peut pas être d'accord sur tout ! Ça tombe bien : on ne sera donc pas d'accord sur ce que tu nommes le "raté" de Langlois. Et comme c'est (dans ces pages) de la récidive de ta part, me voilà obligé [ :-) ] de te faire part de mon désaccord.



Mais bon, nous voilà (à nouveau) en retard (c'était ce matin, je crois) pour l'épreuve philo du bac : Je n'évoquerais donc ici ni Pascal, ni Camus, ni encore Chrétien de Troyes* ... cela risquerait de prendre un peu (beaucoup) de temps (et de place !)



... sans la moindre chance (simple façon de parler) de te convaincre ... pas plus que je ne suis donc convaincu ... que "grotesque" n'est (de mon point de vue) vraiment pas le mot qui convient.



Du reste, nous sommes au moins (sur ce point) tous deux d'accord avec Mogin :

"Dans le dedans de l'homme il y a grand péril"



Quant à ce "Roi sans divertissement" (qui n'est, si l'on veut, qu'un "personnage") il permet à Giono d'accéder à sa seconde (voire troisième) [éventuellement quatrième pour les pinailleurs :-) ] manière d' Écriture qui se révèle à l'époque pour lui comme un Divertissement ... salvateur (disons)

Et source de bonheur (voire de Bonheur Fou), très consciemment itou.



Voilà qui le rapprocherait (à son tour) de Serge.

La plume pour l'un

Le Pinceau pour l'autre !



Auquel (même si c'est une commande) tu ne vas quand même pas reprocher d'avoir peint un jour "Les fonds de Chalamont", que diable ! :-)



Salud y fraternidad,

Captain Achab



* et pourtant, lorsque Perceval est "hypnotisé" par le sang de l'oie sur la neige, c'est beau :-) ... et complètement "fleur bleue" (ici violons svp) car c'est (comme tu le sais) à Blanchefleur qu'il "pense"

... la "dame de ses pensées"

(j'en suis toujours très ému) :-)