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Serge Fiorio - 1911-2011.
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  • Actualités de l'œuvre et biographie du peintre Serge Fiorio par André Lombard et quelques autres rédactrices ou rédacteurs, amis de l'artiste ou passionnés de l'œuvre. Le tout pimenté de tribunes libres ou de billets d'humeur.
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Serge Fiorio - 1911-2011.
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29 mai 2014

Vanité.

Sous ces voûtes ont habité
La raison et les frénésies,
L'espérance, la charité....

C'est sans aucun doute Lucienne Desnoues qui, dans son poème très simplement intitulé Le crâne, parle le mieux de ce sujet que son futur ami Serge choisit, lui, de traiter au dessin tandis qu'il débute à peine sa carrière d'artiste ; sujet inaugural en quelque sorte ! par lequel, entrant donc en peinture, l'artiste — à bien y regarder — fait en vérité vœu de simplicité et d'humilité.

Je me souviens très bien l'avoir entendu dire, parlant de son métier de peintre : «Je suis vraiment parti de zéro ! » Cette déclaration me revient à l'esprit en face de cette Vanité, cette Nature morte, parce que celle-ci exprime particulièrement, par son crâne volumineux posé en vainqueur sur le bloc du livre, la vanité justement du savoir. Mais peut-être est-il nécessaire de faire une distinction. En effet, puisque visiblement, c'est sûr, il ne s'agit pas là d'une allégorie de la vanité des biens ou des plaisirs, la vraie cible désignée et visée, atteinte, est bien le savoir, mais celui qui est livresque, exclusivement ; dont celui de Serge ne relevait pas, étant sur lui-même de ce point de vue bien conscient et lucide, sans aucun complexe : « J'étais ignare en peinture ! » Son savoir était ailleurs, radicalement autre, d'une autre forme, et surtout d'une tout autre fécondité que celle de celui qui se procure ordinairement dans les enseignements, qu'ils soient privés ou publics. Son Académie, ses Beaux-Arts à lui, étaient l'école de la vie et du travail sur le tas : « L'ignorance en peinture n'est pas un handicap mais, par les moyens du bord, le point de départ de découvertes originales » aimait-il à dire. Comme il répétait également souvent :  « Peu de peintres savent oublier ce qu'ils ont appris pour ne laisser parler que leur cœur.»

Vanité de Serge Tête de mort

« Motus et bouche cousue ! » : il semble, en effet, que Serge ait — au lieu de lui dessiner la bouche par un rideau de dents — très volontairement cousu la bouche de son modèle :  dans quel dessein ? no comment ! Les yeux, eux, sont des trous noirs aveugles ! 

Après quoi, on peut aujourd'hui encore mieux apprécier et comprendre le grand enthousiasme qui par la suite habita Serge tout au long de son œuvre, ainsi que son bel appétit de vie, d'espoir et de couleurs.

Voici, pour finir (!), le poème de Lucienne en entier :

Un crâne

Sous ces voûtes ont habité

La raison et les frénésies,

L'espérance, la charité.

Les dieux y furent inventés.

Est-ce Lascaux ou Les Eyzies, 

Cet antre si désaffecté

Où le vice eut ses élevages,

La haine ses repas sauvages,

L'amour ses grands feux agités,

Ses longs échos l'éternité,

Le langage ses fourmilières,

L'horreur ses voltigements noirs ?

En ce troglodyte manoir

Des voix chantèrent, supplièrent,

Mystérieuses, familières.

 

Ces lieux ignorent leur passé.

Les occupants n'ont rien laissé.

 

Sur vos parois bien dénudées,

Occipitals et temporaux,

Nul faon, nul mammouth, nul taureau.

Les resplendissantes idées,

Les sombres principes moraux, 

Dans cette caverne calcaire,

N'ont gravé ni chiffres ni mots,

Ni beaux symboles animaux.

Tous les engins de Jules Verne

Et tous les oiseaux de Rameau,

L'ardente faune de Shakespeare,

De Rodin et du Tintoret

Avec les elfes des forêts

Et les anges et les vampires

Ont hanté ce rupestre empire.

Et de tant d'hôtes repartis,

Rien. Pas le moindre graffiti.

 

Lucienne Desnoues, Anthologie personnelle, Actes Sud,1998.

 

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