Les Ouvriers au repos chantant.

   Les Ouvriers au repos chantant a été mis en chantier à Taninges avant la guerre — en 36, quand Serge stoppe son activité de carrier — puis continué pendant celle-ci à la ferme du Vallon dans le Tarn-et-Garonne et enfin terminé en 1950 à Montjustin alors que les Fiorio habitent encore le vieux presbytère délabré sous le clocher, au sommet du village.

C'est-à-dire — et c'est la seule toile dont c'est le cas — que sa réalisation s'échelonne en trois étapes assez éloignées l'une de l'autre dans le temps, qui sont aussi les trois principales de la vie du peintre.

Cela, pour quelle raison ? Il y en a sans doute plusieurs. Je pense que la première peut en être qu'il s'agit pour Serge d'une grande toile (81X100 cm) et constitue donc un travail de longue haleine alors qu'il est encore loin, en plus, de pouvoir chaque jour ne faire que peindre — et qu'il peint bien sûr, en dehors de cette œuvre. La seconde raison — peut-être, au fond, la première — pourrait être que, ne faisant pas d'exposition, les clients autour de lui pour ce genre d'œuvre ne devaient pas, comme on dit, ni courir les rues, ni se bousculer au portillon ; situation encourageant le peintre à prendre tout son temps pour réaliser cette œuvre majeure parmi les majeures car elle couronne magistralement sa période de travail à la carrière à ciel ouvert qui est en même temps celle de ses courageux et féconds apprentissages d'artiste peintre. La troisième raison — qui n'est pas évidente, mais me semble cependant psychologiquement très plausible — ne serait-elle pas l'attachement du peintre à ce sujet comme si, en gardant cette toile (peinte sur bois) en perpétuel chantier, il souhaitait accompagner longtemps encore sa vie et son travail de peintre des chants des ouvriers ?

La vérité doit être à peu près un savant mélange, à vrai dire, de ces trois raisons supposées.

Ci-dessous, Serge au presbytère, en 1953, devant sa toile que lui achèteront les sœurs Keller, des suisses amies d'Eugène Martel. En grand gourmand qu'il était, Serge rappelait souvent combien il avait particulièrement apprécié leurs nombreux envois de chocolat pendant sa mobilisation en 1939. Bien plus tard, elles lui prêteront la toile pour son exposition itinérante en Allemagne.